La Présentation
Ran (ou chaos en français) est un film d'Akira Kurosawa s'inspirant de la tragédie le Roi Lear de William Shakespeare, sorti en 1985 avec Tatsuya Nakadai dans le rôle principal.
Le film se déroule dans le Japon féodal, alors que le daimyo Hidetora Ichimonji décide de céder son royaume entre ses trois fils avec le fils ainé comme chef du clan, tout en gardant son titre de patriarche et les honneurs qui vont avec, sauf que son fils ainé, Taro ne l'entends pas de cette oreille, et compte marquer sa domination au sein du clan, grâce aux conseils de son épouse, Kaede qui vient d'un clan qui a été exterminé par Hidetora par le passé ...
Shakespeare in Despair ?
Du haut de ses 2 h 42 de film, Ran prend donc le temps de développer un panel large de personnages et leurs différents conflits, dans une ère de soi-disant paix bâtie sur une montagne de cadavres, qui serviront via les ruines d'un de ces châteaux, d'éléments de narration pour amplifier le drame familial, afin de le transformer en drame humain questionnant notre rapport à la paix et la façon de la construire.
On a également selon Kurosawa, une métaphore de la peur d'une guerre nucléaire, voilà pourquoi il y a des références au ciel (les changements de temps sont aussi là pour renforcer l'atmosphère des différentes scènes), avec un ton assez nihiliste, peut-être le plus sombre des films de Kurosawa même si on voit certaines lumières dans l'obscurité, Kurosawa nous indique clairement que la plupart des avancées technologiques n'ont fait en sorte que de nous apprendre à tuer autrui plus vite !
De ce fait, les scènes de bataille sont saisissantes, ne montrant que le côté négatif de la guerre et la mort du buddha, ne laissant que des démons ...
Tout cela est d'ailleurs intéressant par rapport au Japon, qui suite à ce qui est très certainement l'acte le plus impitoyable et horrible de notre histoire ayant tué des centaines de milliers de civils (même si cela a permis d'empêcher de nombreux massacres des deux côtés, car les japonais étaient prêts à tout pour gagner la guerre qu'ils croyaient gagner, même il s'agit d'un acte ignoble qui a été décrit comme un vulgaire outil dans la caisse à outils de la vertu américaine ...), ait donné naissance à une nation des plus avancées technologiquement permettant à ce film de montrer une facette de la nature humaine, l'avidité qui peut la corrompre via ses fameuses avancées technologiques !
Déjà que l'on pouvait voir dans Yojimbo, un revolver qui en plus de marquer la fin de l'ère des samurais, pointe du doigt la facilité d'un homme à tuer autrui, malgré tout l'entrainement que peut avoir un samurai comme pour montrer à quel point la guerre est devenue impersonnelle.
Dans ce film, il n'y a ni de rédemption, ni de causes justes, juste de l'avidité où la moralité qui dépend du contexte se voit chaotique, le film ne laisse qu'un cycle qui consiste en : des moments de paix, des moments de guerres pour avoir à nouveau une époque de paix et on recommence avec des acteurs parfois différents ...
La Réalisation
Sûrement le plus gros point fort du film, Kurosawa a pris 10 ans pour faire le storyboard de ce film en peinture !
Et on voit vite le résultat de ce travail que ce soit sur la qualité du découpage, les cadres (avec aucun gros plan durant les scènes de combat pour montrer l'aspect impersonnel de la guerre) et même le montage toujours fait par Kurosawa !
La maîtrise du maître force le respect tant les plans sont à couper le souffle, je peux peut-être paraître léger sur l'utilisation de mes mots, mais regardez juste la bande-annonce pour vous rendre compte du niveau de détail, déjà que la plupart des films de Kurosawa en noir et blanc sont incroyables, alors en couleur, on a l'impression de voir des tableaux en mouvement comme dans Barry Lyndon de Kubrick !
Les Acteurs
Déjà pour jouer le personnage principal, on a Tatsuya Nakadai, l'un de mes acteurs japonais préférés à la large palette de jeux et qui ajoute une nouvelle corde à son arc avec ce jeu de patriarche sur la fin (d'ailleurs il a fallu un peu près 4 heures de maquillage pour le rendre âgé), après son jeu énigmatique dans le visage d'un autre de Teshigahara, ce tueur psychotique dans Yojimbo, un tueur froid et psychopathique dans l'épée du Mal, un samurai qui tient au code d'honneur des samurais, mais qui après avoir perdu tout ce qui le retenait dans le monde, voit le manque de respect pour ce fameux code, de la part des clans proches du shogunat le rendant comme une bête sauvage dans Harakiri, etc.
En bref, vous voyez surement à quel point il est un grand d'acteur, et là il continue à être excellent et bluffant, il est définitivement à ranger avec Toshiro Mifune, Chishu Ryu, Masayuki Mori, Takeshi Kitano et quelques autres parmi les plus grands acteurs japonais !
Mieko Harada fournit aussi une performance de haute volée dans cette femme digne d'une mante religieuse ou de renard à neuf queues, remplit de haine et capable des pires bassesses pour voir tout brûler.
La Musique
La BO fut composée par Toru Takemitsu, qui a opéré sur Harakiri. Il est le chef de file de la musique classique japonaise et compose ici des morceaux dans le prolongement de ses projets solos, des compositions à l'opposé de la musique japonaise où il n'y a pas de mélodie, pour avoir une approche plus occidentale, mais pas aussi dans l'universalisation des sonorités.
Donc nous avons là, des morceaux avec des instruments traditionnels, mais avec des mélodies puissantes et mélancoliques !
La Conclusion
Pour conclure, Ran est un film trouvant une alchimie incroyable entre une tragédie Shakespearienne à la Kurosawa, des plans dignes de peintures, de grands acteurs et une B.O qui reste dans la tête !