Dans Monika, l’héroïne pleure devant une bluette hollywoodienne qui fait bailler son prétendant ; le titre du film est le même que ce nouveau film de Bergman, qui va bien entendu prendre bien des distances avec le modèle formaté de l’usine à rêves.
Cet opus est un double portrait de femme : à la faveur d’un déplacement professionnel, une directrice d’agence de publicité et l’une de ses mannequins vont connaitre une escapade amoureuse qui n’aura rien d’une parenthèse enchantée. Car, on le sait avec Bergman, la lucidité et la cruauté se greffent immuablement sur les moments de plaisir.
Le monde de la photographie, résolument moderne dans la séquence d’ouverture, annonce avec malice les développements retors à venir : on joue sur l’apparence, les femmes sont au pouvoir, à la fois blasées et puissantes, séductrices et conscientes de leur statut.
Pour accompagner cette illusion, Bergman commence à expérimenter en termes de mise en scène : les plans se rapprochent, le montage se fait plus abrupt, et se met en place des ébauches de ce qui sera l’esthétique si singulière du maître, traquant les visages et leurs moindres inflexions.
L’autre grand sujet éminemment représentatif de son œuvre à venir est celui du miroir : les deux femmes (Eva Dahlbeck en directrice et Harriet Andersson en mannequin, parfaites) vivent un parcours qui se répond par échos inversés : quand l’une gère une rupture, l’autre voit naitre une idylle ; mais toutes les deux seront confrontées in fine à la réalité.
Celle-ci prendra la forme de l’irruption de la troisième femme : l’épouse légitime pour la première, la fille du vieux et riche beau pour la seconde. On reconnait bien là la cruauté de Bergman, non seulement toujours prompt à faire se déchirer le voile des illusions, mais surtout à expliciter crûment les manquements et les médiocrités des protagonistes par un discours aussi rationnel qu’acerbe.
L’originalité est donc là : cette escapade est avant tout à oublier, et le retour à la situation initiale semble aller dans ce sens. On aura découvert, le temps d’un bref séjour, la faible capacité des femmes à résister à la séduction, et l’infinie lâcheté des hommes. La leçon est d’autant plus ironique qu’on sait très bien qu’elle ne sera pas garante d’une quelconque accession à la sagesse.
En résulte une petite fable cynique, qui par la distance maintenue avec ses personnages reste un peu limitée en termes d’émotions et d’ambition visuelle, mais distille avec conviction ses sentences impitoyables sur le genre humain.