« Le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire », chantait Jean Ferrat : alors que le procès historique des attentats de novembre 2015 a tenté d’apporter des réponses et une forme de conclusion à cette tragédie nationale, le récit prend déjà le relais, que ce soit dans Revoir Paris d’Alice Winocour ou le prochain Novembre de Cédric Jimenez. Le réflexe est naturel, et l’attention du public à ces récits peut donner d’autres voies à la connaissance et la compassion pour les victimes. Le caractère très récent des événements traités implique néanmoins un tact encore plus grand : le mariage entre Histoire et fiction est sans doute bien plus heureux quand le couple reste à distance.
Alice Winocour propose donc un récit de reconstruction à travers le parcours de Mia (Virginie Efira, toujours aussi juste) de retour dans la capitale après avoir survécu à une attaque dans un restaurant. Les thématiques sont multiples, et certaines particulièrement touchantes, notamment dans l’impuissance des proches ou de son compagnon à trouver l’attitude juste, se sentant très rapidement à l’écart d’un destin hors du commun. C’est au contact des autres victimes que Mia pourra entamer une reconstruction. Cet itinéraire fragmenté, dans lequel on ne peut combler les gouffres de la mémoire que par des douleurs plus grandes encore, avait déjà de quoi nourrir un récit bien dense. Malheureusement, la réalisatrice scénariste considère qu’il faudra recourir à d’autres ressorts pour émouvoir le spectateur.
*Revoir Paris *accumule ainsi toutes les recettes les plus éculées pour le portrait post-traumatique. Des souvenirs par flash qui pourrissent le présent (un gâteau d’anniversaire), un son de pluie continu issu de la soirée fatale, des victimes apparaissant comme des spectres et au ralenti, ou encore une musique cherchant à transformer l’instant en épiphanie toutes les dix minutes. L’écriture même du récit fonctionne sur ce principe visant à multiplier les pistes dans une enquête laborieuse et assez peu crédible, à la recherche d’un homme présent ce soir-là. L’occasion d’un détour sur le Paris des sans-papiers qui aurait pu faire l’objet d’un autre film (qu’on laissera au frères Dardenne), et de péripéties sur-écrites, de symboles balourds (la cicatrice à effacer puis à caresser, la jeune femme et le selfie de ses parents, le fragment du tableau de Monet à retrouver) et de fausses pistes au mieux maladroites (toute l’intrigue sur l’infidélité du compagnon), au pire carrément déplacées (celle sur la victime enfermée dans les toilettes). Un exemple, entre tant d’autres : Mia interroge un « placeur » de sans-papiers dans un restaurant, pour retrouver l’homme qui l’avait soutenue cette nuit-là. Refus catégorique de l’interlocuteur, qui n’a évidemment aucun intérêt à reconnaître ce type d’activité face à une inconnue. Elle s’en va. Plan suivant, nous la voyons marcher de dos. Hors-champ : « Attendez ! » et contre-champ sur le placeur en question qui finalement lui dit tout, en précisant qu’il ne fait pas du trafic mais est juste solidaire. Empathie, bienveillance, émotion, yeux au ciel.
Revoir Paris exhibe ainsi, presque sans honte, toutes ces ficelles, au point de nous présenter un mode d’emploi : on voit des comédiens, une enquête, une histoire d’amour, des séquences émotion. Et l’on ne cesse de se dire qu’on n’avait pas besoin de Re voir Paris : les documentaires, le travail colossal du procès, les témoignages nous ont déjà permis de le voir, et d’approcher modestement cette poignante vérité.