Julio Medem a beau se planquer derrière sa maîtrise photographique, il signe avec Room in Rome un film sacrément fourbe. Il est en effet fort difficile de trouver son impartialité au moment de juger les faits, après 1h45 d'une démonstration visuelle et sensuelle on ne peut plus maîtrisée, dont les images, de plus en plus belles, et subtiles, au fur et à mesure que les corps se dévoilent, trouvent une harmonie remarquable. A tel point qu'elles pourraient se faire le véhicule d'un ensorcellement massif des amateurs de jolies courbes qui leur ôterait toute impartialité. Le but de la manoeuvre étant assez simple, espérer que la prouesse formelle suffise à cacher sous un tapis de somptueuses ambiances une narration qui hésite constamment entre le contemplatif poétique et l'histoire d'amour à l'écriture bien plus classique.
Car à force de glisser un peu maladroitement sous le tapis tout un tas d’anecdotes censées caractériser ses deux muses, le père Medem se prend un peu le pied dedans. Alors que la première demi-heure de son film est des plus stimulante parce qu'elle est construite autour d'un désir pulsionnel qui échappe à toute logique, lorsque la parole se joint aux images pour expliquer la situation, que les mensonges de collégiennes se mêlent aux traumatismes plus sincères, c'est un vent glacial de banalité qui commence à polluer l'ensemble. Medem ne parviendra pas à s’en échapper, s’enlisant dans une mécanique un peu usante qui le fait alterner mensonges et contre-vérités.
C'est bien dommage parce que Room in Rome n'avait pas besoin d'explications. Qu'importe finalement pourquoi les deux jeunes femmes se retrouvent dans cette chambre, qu'importent leurs situations personnelles, leurs orientations sexuelles, leurs blessures profondes ou leurs envies. On les comprend suffisamment par la gestuelle, d'autant plus que Julio Medem est suffisamment doué pour se permettre de véhiculer l’essentiel par l'image. Quand la jolie Natasha, par exemple, hésite à se laisser capturer par les draps de celle qui prend les rennes de sa vie sexuelle le temps d’une nuit, un souffle, un murmure rassurant, suffit. C’est dans ces moments là, lorsqu’il s’agit d’imager l’attirance réciproque des deux femmes, de symboliser leur désir, que le réalisateur prouve tout son talent. Dommage qu’il n’en soit pas lui-même plus convaincu.
Parce qu’à défaut de l’assumer pleinement, il fait de Room in Rome un film un peu bancal, témoin d'un savoir-faire d'orfèvre quand il s'agit de diriger les corps et composer de la belle image sans que le geste soit pour autant assumé à 100%. Pour lui donner de la consistance, pour le justifier même, Medem ajoute à ses images une chanson un peu mièvre en guise de bande son entrecoupant deux dialogues peu inspirés, qui ôtent à ses métaphores visuelles leur pouvoir de suggestion. En témoigne cette séquence —graphiquement sublime— de l'extraction d'une flèche de la poitrine de Elena Anaya, qui tombe à plat, parce que toute sa puissance métaphorique est réduite à néant par les parties dialoguées qui l'entourent.
A force de naviguer entre deux eaux, celles de la romance impossible mais réaliste, et celles de l'expression visuelle plus poétique, Medem livre, avec Room in Rome, un film inabouti, visuellement splendide, habité par deux muses stupéfiantes de justesse mais dont le fond, banal et égratigné par des clichés de bas étage, empêche la belle poésie qui le parsème de prendre pleinement son envol.