À voir si vous le pouvez.
Rue des Cités fera partie de ces petits films dont on n'entendra pas parler dans les médias, qui sortiront dans sept salles en France et qui disparaîtront sans que personne s'en aperçoive. Et ça sera dommage. Carine May et Hakim Zouhani, natifs d'Aubervilliers, ont filmé leur ville avec un regard bienveillant et beaucoup de justesse. Loin de tous les clichés que l'on peut avoir l'habitude de retrouver lorsque l'on parle de banlieue, Rue des Cités prend le parti de ne pas condamner leurs personnages, ni d'en faire des incompris. Les deux jeunes réalisateurs les montrent, au contraire, dans leur vie de tous les jours, les bons et les moins bons. Leurs erreurs, leur solidarité, leurs inquiétudes, leur maladresse. Perdus, les protagonistes essayent tant bien que mal de vivre dans un monde sans repères, où les différentes générations cohabitent sans se comprendre. Les plus jeunes ne comprennent pas les agissements de leurs grands-frères, tandis que ceux-ci voient en la génération de leurs grands-parents un archaïsme dont il faut s'éloigner : retourner au bled, où sont nés leurs aînés, n'intéresse plus et devient presque preuve de ringardise, alors que de leur côté, les anciens ne comprennent pas cette jeunesse enfermée malgré elle dans l'oisiveté et les codes de la cité.
Rue des Cités traite de sujets universel avec ses personnages en quête d'identité, d'émancipation, mais emprisonnés dans leurs problèmes. Le monde extérieur ne veut pas d'eux, mais eux-même n'ont de cesse de le repousser par simple réflexe. Par mimétisme, les tics de langage, le comportement agressif et le défaitisme se développent et corrompent la bonne volonté des habitants de la cité qui ne rêveraient pourtant que d'en sortir. En entrecoupant le récit d'extraits documentaires où les deux réalisateurs interrogent des habitants d'Aubervilliers de tous âges, le film gagne en justesse et évite tout manichéisme. La pauvreté, la débrouille, les a priori des gens autour s'incarnent dans les différents interlocuteurs racontant leur vécu. Comme cette ancienne habitante de la cité, admise dans une école parisienne, expliquant comment elle s'était rendue compte que son phrasé, celui qu'elle avait gagné au contact de ses proches, pouvait être vu comme agressif par d'autres personnes. Ou cet homme qui raconte que, gamin, il avait volé un gâteau d'anniversaire dans une boulangerie car sa famille ne pouvait se permettre cette dépense, mais qu'il était retourné payer plus tard lorsqu'il avait pu mettre assez d'argent de côté. Ces moments de vérité, aussi édifiants que touchants, accompagnés de touches poétiques évitant de devenir trop terre-à-terre (comme les passages musicaux du slameur Hocine Ben), permettent de ne pas diaboliser la population des cités, pas uniquement composée de personnes violentes ou désabusées.
Humain, réaliste, Rue des Cités est un premier film intéressant réalisé par un tandem prometteur qui a des choses à dire, mais qui a conscience de ses limites. Ici, par peur que le concept ne s'essouffle ou que ses comédiens non-professionnels ne tiennent la longueur, ils ont choisi de ne faire durer leur film qu'une heure dix. Mais une heure dix aussi pertinentes qu'utiles.