Il était une fois dans leur opulente demeure de Glen Cove sur l'île de Long Island, la famille Larrabee et leurs domestiques. Pour sa dernière soirée avant de partir étudier la cuisine à Paris, Sabrina, la fille du chauffeur, importé d'Angleterre en même temps que la Rolls, observe depuis son arbre la fastueuse réception que donnent les milliardaires. Elle n'a d'yeux que pour David, le cadet, aussi séduisant que benêt et divorcé. Ce soir là il a jeté son dévolu sur une certaine Gretchen van Horn, fille d'un richissime banquier, et dégaine à nouveau l'artillerie lourde : un cours de tennis vide, une flûte de champagne, Isn't it romantic en fond sonore et l'affaire est dans le sac. Spectatrice de la scène, Sabrina, a le cœur lourd envisage le suicide par inhalation de monoxyde de carbone. Tentative rapidement avortée par Linus, l'aînée Larrabee et gèrant des sociétés Larrabee, qui la découvre enfermée dans le garage. C'est donc pleine de honte et de chagrin qu'elle quitte la propriété new-yorkaise pour les fourneaux parisiens. Mais elle s'y révèle très maladroite saccageant omelettes et soufflés. C'est que le cœur n'y est pas voyez-vous : "Une femme heureuse en amour brûle toujours son soufflé. Une femme malheureuse oublie d'allumer le four" dixit Marcel Dalio alias le baron de Saint-Fontanel. Une relation ambiguë s'établit alors entre les deux cuisiniers qui permet à Sabrina de s'affirmer, de prendre du galon et de voir "la vie en rose".
Deux ans après être partie, la voila enfin sur le quai de la gare quelque part entre New-York et Glen Cove, quand passe justement David dans sa Rolls. Aussi séduisant que benêt et divorcé avais-je dis. J'aurais pu rajouter piètre physionomiste puisqu'il ignore toujours qui est assis à sa droite alors qu'il raccompagne Sabrina chez elle... donc chez lui. Crétin va. Déjà pas très perspicace le voilà complètement amnésique, aveuglé par le charme ravageur de la néo-parisienne. Car il oublie que pour assurer la fabrication à moindre coût d'un plastique révolutionnaire estampé Larrabee, son aîné de frère l'a fiancé à Elizabeth Tyson héritière de la deuxième exploitation de cannes à sucre du pays (la première n'ayant pas de fille, soyons clair). Ce dernier se lance alors dans une vaste opération séduction visant à éloigner Sabrina de David afin de rendre pérenne son entreprise Larrabee Plastics.


Le film s'ouvre sur une description des lieux digne des plus beaux contes... et de Billy Wilder. Car alors qu'on se préparait à une énième variation sur thème de cendrillon, le réalisateur-scénariste-producteur la désamorce illico par son humour ravageur. Cette famille américaine de milliardaires capitalistes (ou de capitalistes milliardaires) est ridicule : le daron fume ses cigares et mange ses olives en cachette, la daronne fait l'autruche, l'aîné s'évertue à démontrer les prouesses exceptionnelles de son plastique et le cadet a fait du divorce un acte banal et s'enfonce du cristal dans le derrière. Pire il va épouser une héritière seulement pour ses cannes (à sucre hein). Le petit grain de sable dans ce rouage capitaliste et dynastique aussi grotesque que fragile c'est Sabrina. Ou plutôt Audrey. Avec ses yeux de biches et ses petits bras menus, elle va ébranler tout ce petit monde : David va finalement aimer sa richissime promise, le daron va (enfin) réussir à gober une olive et Linus passer plus de 35 minutes à Paris. Bogart. La lutte des classes à désormais un visage.


Les trois comédiens principaux sont excellents avec une mention particulière pour Bogey que le malaise du contre-emploi et de la différence d'âge rend très drôle malgré lui. Le rôle était en effet prédestiné à Cary Grant mais celui-ci avait curieusement refusé le rôle ne se voyant pas porter un parapluie... De plus il était alors âgé de 55 ans et déjà affaibli par sa maladie, et aurait pu être le père de Hepburn (25 ans) quand il était censé jouer son amant. Perte de crédibilité donc mais gain de plaisir. Le malaise, palpable, avait également deux autres explications : d'une part Wilder et lui ne se supportaient qu'en de rares occasions (le premier agacé des exigences du second et celui-là persuadé que le premier lui préférait Holden) et d'autre part il ne supportait pas la complicité naissante entre les deux jeunes acteurs (Holden et Hepburn). J'en profite au passage pour dire combien Holden était un immense acteur. Ce n'est pas qu'on ait tendance à l'oublier mais c'est toujours bon de rappeler que certains acteurs comme lui, Burton ou Lorre était grand.


Mais le film bénéficie avant tout de la présence au casting d'Audrey Hepburn qu'on dévorerait dans sa robe Givenchy ou dans son short blanc. Toute juste lauréate d'un Oscar, elle était alors ce qui se faisait de mieux en matière de jeu, de beauté et de mode malgré les canons d'antan. Les derniers mots seront pour Wilder, pas peu fière de sa recrue : "Après avoir vu tant de serveuses de drive-in au cinéma, on sentait une véritable sécheresse ; apparaît de la classe, quelqu'un qui est allé à l'école, capable d'épeler et de jouer du piano. C'est un petit être, fin, mais vous êtes réellement en présence de quelqu'un lorsque vous voyez cette fille. Il n'y a eu personne comme cela depuis Garbo, à l'exception sans doute d'Ingrid Bergman." "Le premier jour, elle est arrivée sur le plateau. Toute préparée. Elle connaissait son texte. Je n'avais pas besoin de dire quoi que ce soit. Elle était si gracieuse et délicieuse qu'en cinq minutes tout le monde a été amoureux d'elle. Tous. Moi y compris. Mon problème est que je suis un garçon qui parle dans son sommeil. Je parle et parle... Heureusement, ma femme s'appelle, elle aussi, Audrey."

blig
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le 9 sept. 2014

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blig

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