Comment gagner sa vie quand l'usine licencie, toutes les portes se ferment et les dettes vous accablent? Comment garder son garçon et la maman métisse brésilienne, prendre un logement digne et quitter celui de son père raciste et acariâtre? Jorge a presque trouvé une issue devenir, grâce à ses talents de boxeur amateur, le receveur-musclé auprès des petits entrepreneurs en retard de paiement.
Et Jorge le fait à l'échelle «domestique», dans un pays lui-même en mal de paiements. Cible préférée -entre outres- de la troïka, (cette alliance de la Banque centrale européenne, de la Commission européenne et du Fonds monétaire international, BCE, CE, FMI), le Portugal a vécu dans les années 2010 une austérité sévère, restant sous "tutelle" jusqu'en 2014, ayant été un bon élève dépassant même les objectifs de ses mandants, tout en restant encore aujourd'hui dans une grande fragilité économique et sociale.
Le réalisateur Marco Martins, du film Saint Georges, actuellement en salle, en construisant une fiction-documentaire sur cette génération, nous amène loin à l'intérieur de la vie des laissés pour compte des politiques d'austérité et de la descente aux enfers de l'exclusion et du désespoir. Le personnage principal Jorge (Nuno Lopes, qui a reçu le prix du meilleur acteur dans la section Horizons du festival de Venise 2016), joue avec talent le rôle de celui à qui la vie semble avoir ôté le sens, qu'il cherche avec entrain, se battant, se bagarrant avec les moyens que le rejet social lui impose.
Ce sont les moments d'une infinie tendresse, quoique durs dans l'échange, avec son petit garçon Nelson(David Semedo), qu'on sent qu'il est prêt à tout pour essayer de trouver ce deux pièces qui pourrait accueillir la famille, si Susana (Mariana Lopes) abandonnait le projet de repartir au Brésil avec leur enfant. Pour cela il faut qu'il soit à la hauteur des exigences de ses "employeurs" faire peur sans état d'âme pour la castagne... Mais Jorge n'est pas un casseur, pas un violent, ce n'est que sur le ring qu'il développe sa force physique. Au contraire, pour les sociétés de recouvrement c'est la violence, il faut que ça cogne, que ça saigne, pourvu que ça encaisse! Et là aussi, on le jette...
Film noir, de la nuit; de la maison du père où d'autres retraités du même gabarit commèrent sur la vie économique et sociale; de la communauté brésilienne et cap-verdienne de la toute proche banlieue de Lisbonne; des "clients-victimes" mauvais payeurs; d'une jeunesse que là, comme ici, semble ignorée du mot avenir.
C'est un des points qui m'a le plus marqué dans ce "beau et digne" film, quel avenir, quel programme de vie pour cette génération qui est là et celle qui vient. Un film comme une sorte de lanceur d'alerte, que fabriquons-nous...?
Il n'y a pas de leçon, pas de jugement, Marco Martins le réalisateur nous montre Lisboa de la nuit, des salles de boxe, des quartiers pauvres, un autre aspect de la "Ville Blanche" (cet autre filme qui parle de Lisbonne, celle de Alain Tanner). Il m'est venu également en mémoire, un film sur un boxeur-amateur portugais, Belarmino(1964) de Fernando Lopes. Lui aussi parcourt la ville dans les années 60, il est cireur de chaussures et peint des photos. Une sorte de docu-fiction, une chronique sociale, du cinéma nouveau portugais des années Salazar.
Que de liens, (aujourd’hui on pourrait aussi citer Ken Loach), et quelle belle performance ce Saint Georges! À voir en salle pour soutenir ce film dont Telerama écrit que «seule la dignité éclaire ce film pur, sombre et beau»!
https://blogs.mediapart.fr/arthur-porto/blog/020617/un-sao-jorge-de-lisbonne