Ça commence comme une grisaille. Un paysage dans la brume. Rien de fantastique ou de romantique ; là-bas dans la région du Forez c’est presque toujours, encore, du Zola. Natif de ce coin de France, Christophe Agou s’est attaché à ceux qu’on filme peu : les paysans de l’Est du massif central qui se battent envers et contre tout pour survivre. En 2002, le réalisateur qui vit désormais à New-York ressent le besoin de revenir dans sa région natale. Il y rencontre Claudette, Jean, Christiane ou encore Raymond. Il les photographie. Puis il les filme pour les relier, dit-il, « à notre monde à nous ». C’est en effet un autre monde que le leur, coincé quelque part entre passé et présent et oublié d’une société désormais urbaine et consumériste.
Sans adieu nous entraîne dans des maisons en forme de bric-à-brac où des nappes en plastique protègent des tables en formica qui jouxtent des bahuts rustiques encombrés de papiers et d’almanachs en tous genres débordant sur les gazinières, ou d’autres buffets et fauteuils occupés par des chiens ou des chats que surplombent des images saintes ou des horloges figées sur une heure depuis longtemps écoulée. Le temps a réellement suspendu son vol dans ce coin de l’Hexagone que l’on prendrait d’emblée pour le bout du monde. Les téléphones sont encore reliés par des fils à leur combiné et l’euro n’a pas tout à fait délogé le Franc dans les conversations. Tout cela aurait de quoi fleurer bon la douce France des clochers, cette terre qui ne ment pas comme dirait l’autre. Heureusement, Christophe Agou n’a aucun goût pour le folklore. Sans adieu ne verse en effet jamais dans une nostalgie malvenue. Comme il le fait remarquer, « qui voudrait vivre aussi chichement qu’eux et être aussi peu entendus ? »
Et pourtant ce n’est pas faute de parler et de crier. C’est Jean-Clément qui tient tête à ceux venus prendre son troupeau à cause d’un cas de vache folle. C’est Claudette, avec son bonnet qui pourrait servir de nid à ses poules, qui crie après son chien Titi, après son coq qui a disparu, après la banque et son langage procédurier qui semblent ici encore plus absurde que d’habitude. Tous luttent pour conserver une dignité que l’époque leur refuse. Le XXI° siècle n’est présent qu’à travers une voix au téléphone ou un courrier administratif incompréhensible : des entités désincarnées qui renforcent encore le sentiment d’abandon. Les fermes ne se lèguent plus de génération en génération et les ouvriers agricoles ont remplacé les paysans, le temps s’est emballé et les a laissés derrière. Sans voix-off, avec son image quasi amateur et son bruit numérique, Sans adieu nous prend à la gorge. Des diapositives en couleur montrent les fêtes en famille et le bonheur passé auprès d’un frère depuis disparu ; une nouvelle vie qui commence dans une maison neuve mais vide…à plusieurs reprises le film est triste à pleurer.
La façon dont Christophe Agou cadre les dos voûtés et les mains déformées par le travail, sa complicité avec les personnes filmées atténuent la tristesse ressentie. Finalement, le réalisateur a atteint son objectif. Grâce à lui, ces témoins d’une époque en train de disparaître sont vus. Et entendus.