Pour son dernier long-métrage, le réalisateur et scénariste expérimenté Guillaume Nicloux s'empare de "L’Extraordinaire Destinée de Sarah Bernhardt", pour reprendre le titre de la pièce de théâtre qui lui rend hommage actuellement au théâtre du Palais Royal et que j'ai eu la chance de voir il y a peu, avec une excellente Estelle Meyer dans le rôle titre.

Contrairement à cette pièce qui propose une succession de tableaux décrivant de manière linéaire sa vie, son ascension et sa fabuleuse carrière d'artiste de théâtre, le réalisateur de La Divine nous offre, de manière complémentaire, un scénario intelligemment orchestré et quasi romancé, choisissant d'afficher ce Monstre Sacré (comme disait Jean Cocteau), principalement à deux périodes charnières de sa vie, et sans la montrer, à une exception près, jouer dans aucune pièce de théâtre.

Quand même ! c'était la devise de Sarah Bernhardt, en référence à son audace et à son mépris des conventions, mais c'est aussi enfin un vrai film français consacré à elle, après le lointain The Incredible Sarah du cinéaste Richard Fleischer en 1976 !

Le choix, à vrai dire risqué et peu académique, de démarrer le métrage avec son opération de la jambe en 1915, alors qu'elle a 71 ans, permet de constater une actrice toujours battante, pleine d'humour, et qui se confie à Sacha Guitry sur sa splendeur passée. Elle lui explique ainsi le déroulement tumultueux de SA journée de décembre 1896, son Jubilée en quelque sorte, alors qu'elle était au sommet de sa gloire et de son art dans la pièce Lorenzaccio d'Alfred de Musset dans un rôle travesti, époque où elle jouait de manière intense avec Lucien Guitry, père de Sacha, et longtemps son amant.

Lucien et Sacha resteront fâchés pendant 13 ans à cause de l'actrice Charlotte Lysès, successivement maîtresse du père et femme du fils, comme le montre le film non sans une certaine dramaturgie très bien intégrée à l'intrigue !

Ce parti pris du réalisateur dans son biopic de la vie de La Scandaleuse (ou encore Mère Lachaise parmi ses nombreux surnoms pas toujours flatteurs), s'avère en fait très intéressant pour le spectateur et met en valeur une femme combattante, féministe et libre, mère célibataire de Maurice, luttant contre le patriarcat encore tellement dominant à cette époque, mais aussi une femme sensible dans ses relations avec les hommes et un cœur pas si libre que son audace et sa façon de prétendre dominer le monde !

Dans une ambiance aux couleurs vives de son appartement parisien, la mise en scène met en évidence ses excès, ses fêlures et son excentricité, avec ses animaux peu domestiques, ce cercueil dans lequel elle se reposait et cette douleur au genou qui la handicape progressivement.

Mais c'est aussi une façon de nous montrer son aisance à naviguer dans le monde des artistes, peintres et autres écrivains; on la voit ainsi avec Victor Hugo, Edmond Rostand, Emile Zola, Sigmund Freud entre autres. Guillaume Nicloux choisit ainsi de témoigner des combats de Sarah Bernhardt contre la peine de mort et l'antisémitisme, poussant Emile Zola à défendre Louis Dreyfus, décidément une visionnaire !

Mais ce film ne serait rien sans l'interprétation sublime de Sandrine Kiberlain, qui habite le rôle dans toutes ses dimensions, excentricité, grandeur, sensibilité, émotion et troubles amoureux, jusqu'à un mimétisme certain de ce qu'était cette grande dame de la dramaturgie française aux confins des XIXème et XXème siècle.

Pour lui répondre dans le rôle important de Julien Guitry, Laurent Lafitte est bon, mais il apparaît quelque peu en retrait comme à l'ombre de La Divine Sandrine Kiberlain.

Impossible d'évoquer tous les nombreux autres rôles et personnages autour de Sarah Bernhardt dans cet excellent biopic, le spectateur en jugera, mais on compte pas moins de 4 membres de la comédie française, situation ironique quand on sait qu'elle en a claqué deux fois la porte !

Qu'on aime ou pas le personnage, ce film original et intelligent représente un morceau de culture française dont on ne saurait se passer. Et à la fin, on aime la voir dans le film documentaire de Sacha Guitry, Ceux de chez nous, tourné en 1915.

Azur-Uno
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