On commence à connaître la chanson, mais de la même manière que l’Histoire en règle générale, celle du cinéma n’est qu’un éternel recommencement. Comme si toutes les histoires avaient été éclusées, et que la seule façon de remédier à la panne de nouvelles histoires à raconter était d’exhumer des franchises cultes pour les remettre sur le devant de la scène, tout en les commentant. Le scénariste Kevin Williamson (ici producteur) le dit, il n’y a pas de vivier inépuisable d’histoires à raconter, ni mille façons de les raconter. Alors quoi de plus naturel que de ressortir tous les dix ans une bonne vieille saga culte, afin de titiller à la fois la nostalgie des anciens fans et d’aller récupérer une nouvelle génération ? A ce titre, la série des Scream tient une place tout à fait à part dans l’histoire du cinéma horrifique, se démarquant nettement des autres franchises mythiques dont le principe est d’utiliser les figures maléfiques qu’elles mettent en scène pour attirer le public, sans nécessité d’attacher ce dernier à des personnages humains, le principe étant que le casting en est généralement renouvelé de film en film. Le principal attrait qui a fait de Scream une saga à part dans le genre, est bien entendu le fait d’avoir suivi sur plusieurs décennies les mêmes personnages évoluer, vieillir, et s’endurcir par la force des choses. Si chacun peut s’identifier à l’un ou l’autre de manière plus ou moins marquée, les fans purs et durs ne le nieront pas, l’idée de retrouver nos personnages (et les acteurs les incarnant du même coup), à dix ans d’écart, a toujours quelque chose de la Madeleine de Proust, allant ici au-delà de la simple nostalgie. On touche clairement à quelque chose de personnel, un attachement presque sentimental qui rend la série si sympathique, en dépit de sa violence. Au-delà de cette singularité qui la rend déjà unique en son genre, l’autre argument imparable en sa faveur reste le fait d’avoir un arc narratif couvrant tous les films, chacun étant lié au précédent, rendant les scénarios certes un peu seriels, mais avec toujours ce petit supplément d’âme qui ajoute un vrai effet de proximité d’avec l’environnement dans lequel ils se déroulent, comme si l’on pouvait en principe en devenir les héros. Rien de surnaturel en somme, en malgré les outrances inhérentes au genre, une sensation que cela pourrait nous arriver, à quelques variantes près bien entendu.
Le quatrième épisode réalisé par le regretté Wes Craven était parvenu contre toute attente à retrouver à la fois ce qui faisait l’essence des films précédents, mais également à insérer ses thématiques dans une contemporanéité qui rendait le film particulièrement pertinent en laissant au centre de l’intrigue les personnages originaux. La principale crainte que l’on pouvait avoir concernant ce nouvel opus (nous arrivant onze ans après le précédent, ce qui est le même laps de temps qu’il y avait eu entre ce dernier et son prédécesseur), outre l’absence de son cinéaste d’origine (auquel hommage est ardemment rendu plusieurs fois ici), restait bien que son casting d’origine soit traité comme des figurants, ou pire que l’on nous les dézingue comme il est de coutume de le faire aujourd’hui pour faire preuve d’ »audace ». Le but de ce texte n’étant pas de spoiler à tout va, on se contentera de dire que si ces derniers ne sont clairement plus au centre de l’histoire, laissant pour la première fois véritablement la place à une potentielle nouvelle génération en cas de succès, ils sont néanmoins traités avec le respect qui leur est dû, chacun étant réintroduit de manière successive, en prenant en compte leur évolution et l’image qu’ils peuvent avoir auprès du public. C’est ainsi que l’on retrouve un Dewey fatigué, ce qui est cohérent avec le parcours de son personnage mais fait également écho au propre parcours de son comédien David Arquette dont on sait à quel point il a été fait de turbulences personnelles l’ayant profondément affecté. C’est donc sans surprise et avec plaisir que l’on constate qu’il s’agit du personnage le plus touchant du film, ayant droit à une scène lui donnant une certaine grandeur tranchant avec le rôle qui lui était alloué jusqu’à maintenant, de ce shérif gentiment benêt dont on se moque affectueusement.
Mais au-delà de ce plaisir des retrouvailles, de quoi parle donc ce nouvel épisode ? Il paraissait véritablement compliqué de trouver un nouvel angle d’attaque en 2022, la particularité de la saga étant d’avoir toujours réussi à jongler entre les règles établies dès le premier film, et la conscience des évolutions du monde, que ce soit dans la caractérisation des nouveaux personnages d’adolescents ou dans l’évolution même du genre. Le quatrième film débutait sur les chapeaux de roue avec sa double mise en abyme, s’amusant de la notion de franchise en se moquant de Stab 6, film à l’intérieur de Stab 7, lui-même à l’intérieur du film que l’on regardait. Sans surprise, ce 5ème épisode continue sur cette lancée en commentant là où en est le genre, rejouant dès la scène d’ouverture celle culte du premier film, en évoquant la fameuse vague du elevated horror, prétendant se placer au-dessus des règles en intellectualisant ce qui devrait être avant tout le cinéma du roller coaster. Lorsque l’adolescente qu’il harcèle lui répond que son film d’horreur préféré est Mister Babadook, le meurtrier lui rétorque : « c’est pas un peu intello ? », préférant quant à lui les bonnes vieilles ficelles dont se moquait gentiment le premier Scream. Le précédent fustigeait quant à lui le fait que le torture porn avait sali en quelque sorte le genre moderne, et juste après regrettait que les films commencent toujours de la même manière, sans surprises. En rejouant en forme de miroir la scène inaugurale de la franchise, le principe est de pointer les clichés avec lesquels jouait la franchise dès ses débuts pour les mener à leur point d’extrémité en questionnant ceux-ci en temps réel, pour nous faire attendre à chaque instant une transgression de ces derniers, et ainsi accomplir une forme de boucle, d’où l’absence de numéro derrière le titre.
Reprenant la structure du film originel en se permettant de petits écarts de conduite à l’intérieur même de scènes que l’on pensait prévisibles, le scénario trouve un angle malin pour nous faire attendre des transgressions de ces règles, et ce jusqu’à un climax décalquant là encore celui du premier film, en rejouant certaines moments commentés en direct. De commentaire méta sur le cinéma d’horreur en général, la franchise est devenue commentaire méta d’elle-même, dans une sorte de miroir infini faisant se répéter les scènes de façon aussi ludique que vertigineuse.
Le principe de la saga a toujours été de nous questionner sur notre rapport aux images violentes (sans moralisation excessive cependant) et de nous faire penser que l’on pourrait nous-mêmes être les protagonistes d’une fiction regardée par les spectateurs d’une autre dimension. Ce sous texte faisant partie de l’ADN de la série est donc repris ici, avec des personnages se référant aux Stab, les films dans les films formant une saga à l’intérieur de la saga ayant égalé les Saw en matière de n’importe quoi scénaristique. Les adolescents nouvelle génération semblent donc avoir oublié que dans leur monde, les Stab n’existent que sur le sang versé par d’innocentes victimes, ayant été totalement insensibilisés à force de pressage de citron de franchise cinématographique. Là où nous, spectateurs des Scream, pouvons regarder ces films de manière détachée, car nous savons qu’il ne s’agit que de fiction, les Stab fonctionnent quant à eux en réaction à des crimes réels, mais les personnages semblent ne plus en avoir conscience, s’asseyant en quelque sorte sur la mémoire des victimes. Attention léger spoiler : La plus belle trouvaille du film consiste à faire rejouer la scène culte du premier Scream où Randy, seul sur le canapé, se retrouvait à regarder « La nuit des masques », créant un effet miroir entre ce qui se déroulait sur l’écran de télévision et le film en train de se faire, le tueur apparaissant derrière lui. Cette fois-ci, c’est sa nièce, qui joue le rôle de la fan d’horreur édictant les règles, qui se retrouve en train de regarder le premier Stab, décalque de Scream, où un acteur reprend le rôle de son oncle pour la fameuse scène devant la télé, et qui se rend donc compte qu’elle est peut-être en train de revivre la même situation, se retournant juste à temps alors que le meurtrier apparaît derrière elle. Nous nous retrouvons donc à vivre la mise en abyme du premier Stab, lui-même miroir du premier Scream, à l’intérieur duquel le personnage regarde le même La nuit des masques. Ouf, on s’y perdrait presque.
Certes, les esprits chagrins estimeront, sans doute pas totalement à tort, que le concept tend à s’épuiser et à se mordre la queue, à force d’auto-citation complaisante. Ce qui fait la petite différence ici étant que l’équipe créatrice de cet opus est changée par rapports aux autres films, ce qui en fait donc un film de fans, pour les fans, bouclant la boucle pour rendre un dernier hommage sincère et sans prétention à ses idoles, avant de peut-être pouvoir passer véritablement à autre chose. C’est pour cette raison, qu’en dépit de l’habileté générale à brouiller les pistes, le climax s’avère légèrement déceptif et prévisible, se contentant de reproduire des motifs bien connus, faisant tomber le tout dans la quasi parodie. On se rattrapera aux branches, en se disant que le résultat reste malgré tout honorable, et que l’on a évité la catastrophe. On sera également rassurés sur le niveau de violence, largement accentué (il s’agit indéniablement de l’opus le plus brutal de la saga), sans tomber justement dans la boucherie charcutière dénoncée par le précédent, qui irait à l’encontre de l’esprit ayant toujours présidé à cette série.
Imparfait, parfois trop conscient de ses mécanismes pour être totalement honnête, prenons le résultat comme le syndrome terminal d’une tendance du cinéma actuel à la nostalgie excessive, mais trouvant ici sa raison d’être en respectant les règles tout en trouvant de nouvelles façons de s’en jouer, offrant au casting d’origine des apparitions symboliques bien gérées, et plus globalement, respectant ses promesses en matière de whodunit (du moins sur une partie du film) et de meurtres sauvages. Pour le fanboy ultime que je suis, ça rassure. Maintenant, il est temps de passer à autre chose.