Plus forcément tellement avant-gardiste, le procédé d'un long-métrage filmé entièrement à travers un écran d'ordinateur a jusqu'alors été la plupart du temps utilisé dans le cadre de l'épouvante par l'intermédiaire de certaines dérives, celles des réseaux sociaux notamment, points d'appui à des intrigues quittant le champ du réalisme pour privilégier des situations extraordinaires capables de susciter l'effroi chez le spectateur. Si, dans le fond, "Searching - Portée disparue" est bien sûr avant tout un thriller avec les ficelles bien connues que cela induit, il représente néanmoins une vraie bouffée d'air frais dans la mise en oeuvre de cette approche purement informatique (avec tout de même quelques incartades comme des caméras de surveillance) en traitant avec la gravité nécessaire la réalité de la disparition d'une adolescente et l'émotion qu'elle engendre...


Cet ancrage dans le réel se confirme dès les premières minutes avec cette vie de famille frappée par la tragédie de la maladie et résumée subtilement en quelques captures d'écrans, de vidéos et de clics sur tous ces moments d'existence où la sauvegarde technologique sert à compléter la mémoire humaine. Puis, après quelques échanges anodins pour nous présenter le quotidien entre ce père et sa fille, vient subitement le silence de cette dernière. Aneesh Chaganty capte alors avec un certain talent ces instants de flottement qui séparent la légèreté des premières absences de réponse jusqu'à la prise de conscience d'une situation bien plus terrible. C'est le début de la descente aux enfers pour ce père (magistralement campé par un John Cho dont le visage semble se décomposer au fur et à mesure de son enquête), à la fois pris dans le tourbillon de la pire crise qu'un parent puisse traverser et effondré de découvrir qu'il ne connaissait pas autant sa fille qu'il le croyait. C'est d'ailleurs là que "Searching - Portée disparue" joue sa carte la plus forte : dès que le père ouvre l'ordinateur de sa fille, il nage en terrain inconnu et, même lorsqu'il pense enfin détenir un semblant de vérité sur elle en parvenant à accéder à ses comptes sur les réseaux sociaux, c'est pour découvrir qu'ils ne sont qu'une surface de plus, comme pour mieux dissimuler la profondeur de la tristesse insoupçonnée qui habite son enfant. Le point culminant en sera sans doute cette superbe scène où il se regarde en boucle lui-même entrer dans la chambre de sa fille, incapable de n'échanger avec elle autre chose que des banalités auxquelles elle répond avec un sourire qui s'efface sitôt son père parti. Derrière tous ces sites consultés les uns après les autres à l'écran, ce sont en fait les murs construits par une adolescente autour de ses sentiments durant des années qui s'abattent soudain et qui, il en est persuadé, lui donneront la clé pour la retrouver.


Traversée par cette donne émotionnelle, l'enquête au coeur de "Searching - Portée Disparue" atteint donc une dimension inédite pour un film dont la forme épouse celle d'un écran d'ordinateur a priori sans âme. Riche en révélations et en fausses pistes, elle est aussi renforcée par la force du lien d'identification se créant peu à peu entre le père et la policière (Debra Messing) chargée de retrouver sa fille et surtout, dès lors que les médias braquent leurs projecteurs avides sur le fait divers, par les réactions annexes du public. En effet, placé dans le regard de ce père déjà brisé par le doute sur le sort de sa fille, on assiste, scié, au déferlement des réseaux sociaux autour de l'affaire dans ce qu'ils peuvent avoir de pire (les commentaires haineux purement gratuits, les pseudo-enquêteurs virtuels qui mettent en cause ce père sans preuves, des "amis" de la disparue sortis de nulle part pour apparaître devant les cameras, etc). On aura rarement aussi bien retranscrit visuellement cette curieuse sensation d'un homme se retrouvant dépossédé par la vindicte populaire du drame qu'il est pourtant lui-même en train de vivre, "Searching - Portée disparue" tape ainsi encore très fort de ce côté en utilisant le regard finalement assez neutre que lui confère son format pour laisser le soin au spectacteur d'aiguiser sa propre vision critique.


Point probablement le plus faible du long-métrage de Aneesh Chaganty, le dernier acte brise le réalisme dans lequel le film baignait pour nous ramener à la fiction et à ses astuces scénaristiques. On ne peut pas dire que le twist final déçoit -malgré quelques invraisemblances, il est même plutôt bien construit sur sa globalité en s'appuyant sur des détails disséminés ici ou là- mais l'énormité de la révélation est telle qu'elle nous sort clairement de ce sentiment de véracité constamment développé en amont par "Searching", amenant presque quelques regrets chez le spectateur de le voir s'envoler si facilement à cause de ficelles de thriller un peu plus grossières face à l'intelligence du reste.


Ce dernier point empêche peut-être "Searching - Portée disparue" d'atteindre le stade d'un film incontournable mais il reste un thriller très habile et hautement recommandable en parvenant à utiliser sa forme si particulière pour traduire la détresse d'un père face à la tragédie. À voir. Clairement.

RedArrow
7
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le 12 sept. 2018

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4 j'aime

RedArrow

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