Si on devait faire une liste de films qui sentent la catastrophe à des kilomètres, "London Fields" figurerait parmi les sommets du classement...
La qualité du matériau de base, le roman méta/néo-noir de Martin Amis sur une société anglaise en train de péricliter devant les conséquences des années Thatcher, n'est nullement à remettre en cause mais lorsqu'on voit que David Cronenberg ou Michael Winterbottom ont tous deux tourné les talons devant la difficulté d'une telle adaptation et que le projet a finalement échoué entre les mains de Mathew Cullen, un réalisateur connu essentiellement pour des clips de pop-stars, cela amenuise considérablement les chances de réussite de l'entreprise. Il restait dès lors trois possibilités sur l'issue de cette dernière : une réussite de premier long-métrage que l'on n'avait pas vu venir, un échec prenant néanmoins l'apparence d'une tentative glorieuse ou un ratage total.
Les problèmes rencontrés par le film entre son tournage et sa sortie -sur une période de cinq ans tout de même, entre 2013 et 2018- ont clairement mis nos espoirs sur la première hypothèse de côté. En effet, entre Mathew Cullen qui accusait ses producteurs d'avoir remonté le film en y ajoutant des images sulfureuses pendant que ceux-ci l'attaquait pour avoir rompu son contrat et une Amber Heard crachant sur le résultat tout en proclamant que ces images avaient été retournées avec une doublure en violation de sa clause de non-nudité, il devenait désormais impossible d'espérer que quelque chose d'un tant soit peu bon ressorte d'un projet renié par ses participants eux-mêmes. Si l'on y ajoute le fait que le film réunit à l'écran le couple Amber Heard et Johnny Depp (ce dernier y a un second rôle) dont l'échec du mariage a eu des proportions nauséabondes dans tous les tabloïds du monde entier, "London Fields" avait tout du destin d'un film maudit où seul manquait son visionnage pour mesurer l'ampleur de la catastrophe. C'est, aujourd'hui chose faite et, effectivement, le parfum de désastre est bel et bien au rendez-vous...


Le temps d'un séjour pour trouver l'inspiration, un écrivain new-yorkais échange son appartement avec celui d'un de ses confrères londoniens. Là-bas, il fait la connaissance d'un chauffeur de taxi/petite frappe amateur de fléchettes et d'un riche héritier un brin naïf. Ces deux derniers vont peu à peu devenir les jouets d'une femme fatale ayant prédit que sa prochaine mort serait causée par l'un d'eux. L'écrivain y voit là un parfait sujet pour son prochain roman et conclut un pacte avec la jeune femme pour retranscrire ses manipulations...


Ce qui frappe, en premier lieu, dans "London Fields", c'est que toutes les composantes du roman sont à l'écran. En en reprenant mot pour mot des dialogues ou bon nombre de passages incontournables, Mathew Cullen fait bizarrement preuve d'une très grande fidélité au fond du propos sans jamais parvenir à l'extirper du filtre que représente la forme si particulière (et complexe) de l'écriture de Martin Amis. De ce fait, on se retrouve avec une espèce de paradoxe d'adaptation où le respect de l'histoire et de sa dimension métaphorique est bien présente mais où, qu'on la prenne au premier degré ou symboliquement, absolument rien ne fonctionne...


Du point de vue du simple film néo-noir, "London Fields" firte en permanence entre l'abracadabrantesque et le banal. Comment tout simplement avaler le postulat de base qui voit cette femme fatale -et donc fataliste- prévoir son propre meurtre et, pour soi-disant chercher à l'éviter, faire tout ce qui est en son pouvoir afin de le provoquer in fine ? Au lieu de partir à l'autre bout de la planète (elle dira que ça ne sert à rien... on en doute un peu), cette manipulatrice au physique plus qu'avantageux va passer l'intégralité du film à jouer de ses charmes à travers différentes personnalités dans le but de monter l'un contre l'autre (et ensuite contre elle) ses deux potentiels assassins avec l'écrivain comme arbitre quasiment omniscient. Hormis voir la belle Amber Heard endosser un spectre d'habits (souvent légers) allant de la fille facile à la pureté virginale, le récit proposé ne semble déboucher sur rien sinon une interminable représentation de clichés du genre et de dialogues bien trop abscons pour vivre au-delà de leur accouchement sur papier.
En plus, le tout n'est pas aidé par une interprétation soit en roue-libre avec un Jim Sturgess en surcharge pondérale, soit transparente avec un Theo James toujours aussi charismatique qu'une racine de rutabaga ou soit absente avec un Billy Bob Thornton qui n'a jamais l'air d'y croire. Si Johnny Depp, Cara Delevingne, Jamie Alexander ou Jason Isaacs passent rapidement quelques têtes, "London Fields" se concentre avant tout sur son plus bel atout physique en la personne d'Amber Heard, évidemment très convaincante en femme fatale faisant chavirer tous les hommes sur sa route mais, au final, on ne peut être qu'un peu triste de voir l'actrice encore prisonnière d'une variante d'un rôle qui l'a révélé voilà plus ou moins dix ans avec "All The Boys Love Mandy Lane".
Au moins, Mathew Cullen n'a de cesse de mettre cet atout en valeur (accompagné donc de l'ajout d'une nudité contestable des producteurs), ce qui, on ne va pas se mentir, rend "London Fields" agréable à regarder avec cette mise en scène loin de nuire à l'oeil par ses décors à l'architecture souvent originale. Mais, comme le film ne semble aller nulle part à cause de la pauvreté de ses enjeux et que l'on se fiche royalement de la question du meurtrier vu les agissements contradictoires de sa future victime, le tout tourne en permanence à vide. Et, bon sang, que c'est long !


Au-delà du premier degré noir de cette histoire, il y a bien sûr un discours sous-jacent plutôt malin faisant du personnage d'Amber Heard en danger de mort la représentation même d'un Royaume-Uni au bord du précipice qui sert de cadre au film. Comme on l'apprendra à un moment de l'histoire cette jeune femme a trop joué avec le Diable, comprendre le gouvernement anglais a trop joué à l'apprenti-sorcier avec le thatchérisme. Condamnée à sa propre chute, la jeune fille va faire miroiter à ses deux prétendants et potentiels meurtriers une idylle amoureuse / le gouvernement est ainsi conscient que le peuple, représenté ici dans sa totalité par les extrêmes de classes sociales de ces deux hommes, peut causer sa chute et il les maintient dans une forme d'illusion. Sans trahir le peu de surprise que réserve la chute (durant un 5 novembre forcément), on vous laisse comprendre la symbolique de la révélation du meurtrier tout en gardant à l'esprit que sa victime représente l'Angleterre.
Même si on a simplifié la teneur de ce discours afin de le résumer en quelques lignes, il est impossible de nier sa pertinence ou sa portée et c'est ce qui faisait la réussite de l'essence même du livre de Martin Amis en la conjuguant à son intrigue de polar rétro. Seulement, à l'écran, Mathew Cullen se montre beaucoup trop timide pour la traduire pleinement, se contentant de simples plans et allusions à une ville en plein chaos (l'exemple d'une certaine illusion médiatique en est un parfait exemple parmi tant d'autres). Le réalisateur ne paraît à aucun moment capable de la mettre en exergue et, qui plus est, se prend les pieds dans le tapis en essayant d'y adjoindre une réflexion sur la création artistique. On aboutit ainsi sur un long-métrage qui échoue à rendre sa trame globale un minimum intéressante en étant dans l'incapacité flagrante de mêler les différentes strates de son récit.


Même si tout le monde ayant de près ou de loin un lien avec "London Fields" préfère poliment oublier le résultat final, on voit mal comment dès le départ, avec une telle écriture hasardeuse (Martin Amis y a pourtant participé) et une impossibilité de retranscrire le coeur même du roman, les protagonistes de cette étrange affaire ont pu croire à la viabilité du projet. Le livre était de toute évidence inadaptable et personne ne paraît s'en être rendu compte vu les abysses de médiocrité dans lequel le film ne cesse de plonger en gesticulant sans raison autour d'une histoire dont il ne recrache que des bribes à l'écran. Un ratage invraisemblable que seule la beauté d'Amber Heard tente vainement d'éclairer... avant de s'éteindre. Comme tout le reste.

RedArrow
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le 19 mars 2019

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