Si je vous dis "See you next Tuesday" et que vous êtes un amateur de musique underground orienté crust punk / death metal ou une personne plutôt vulgaire maîtrisant à la perfection son "urban dictionary", deux choses vont peut-être vous venir à l'esprit : le groupe de grindcore américain venant du Michigan ou une expression assez "salace" souvent considérée comme étant la plus offensante pour les anglophones. En tous les cas nous pouvons remercier Francis Veber pour son Dîner de Cons et indissociablement la traduction anglaise pour le moins osée qui en a été fait, à savoir : See You Next Tuesday ...


Malgré cette introduction un tantinet impertinente nous ne pouvons que louer le jeune réalisateur Drew Tobia pour son premier long métrage qui peut être pleinement qualifié, comme certains de ces ovnis du 7e art, de film extraordinairement farfelu. Même si le film ne se résume pas à un flot direct, rapide et brutal d'obscénités (ou alors uniquement dans un cadre passionnel ... ? « I love you so much I could shit ! ») le metteur en scène parvient véritablement à véhiculer un "underground feeling" entre humour décalé et justesse profondément humaine.


Le pitch ne se trompe effectivement pas. Les trois protagonistes, Mona, sa soeur et leur mère sont de véritables systèmes électriques qui ne cessent de tout faire disjoncter. Comment trouver un équilibre entre une mère ex-alcoolique déjantée perçue par ses enfants comme un véritable monstre, une soeur stéréotype de la lesbienne névrosée arborant des fringues multicolores et cherchant à stabiliser son couple, et enfin Mona, notre jeune personnage principal, enceinte, dans la solitude et définitivement trop immature et dépendante pour survivre à une période aussi magique que la grossesse ?


Nous nous retrouvons dès la première image face à un visage béat, beau gros plan fixe sur un regard perdu et une mollesse faciale sans précédents. S'ensuit une scène classique de la caissière paumée, désabusée par l'intervention d'un client ou les quolibets de ses collègues qui en profitent lorsqu'elle a le dos tourné. See You Next Tuesday est le théâtre d'un quotidien excentrique entre boulot, maison, et errance minimum. Mona est un électron libre qui ne parvient pas à stabiliser sa course et ne peut s'empêcher d'être dans l'excès. Elle se sent seule et incomprise dans un mal être violent qui la pousse à rechercher une sphère plus confortable et protectrice.


Une désorientation totale brillamment interprétée par Eleonore Pienta (Mona) qui ne cesse d'affirmer une image de plus en plus touchante de son personnage au fil du récit et prouve une extraordinaire capacité à muter de manière extravagante et insolite. L'interprétation de Dana Eskelson (May, la mère de Mona) et de Molly Plunk (Jordan, la soeur de Mona) sont quant à elles également d’excellente qualité et le trio forme objectivement le socle et la matière du long métrage.


Là où le film ne parvient véritablement pas à s’étoffer et finit même en quelque sorte par s’asphyxier, c'est au niveau de son scénario. Celui-ci apparaît en effet sensiblement confus et quelque peu éthéré. Après avoir présenté ses trois portraits féminins dans un décor urbain prosaïque, nous comprenons rapidement que l'enjeu du film repose exclusivement sur sa
dimension dramatique et ... c'est malheureusement tout. En revanche, malgré une structure fragile, Drew Tobia parvient, et c'est sur ce point qu'il excelle le plus dans son film, à proposer une ambiance singulière jouant avec les musiques de Brian McOmber (mélodies enfantines, airs jazzy ou sons pop-rock) et les images de son directeur de la photographie Andrew J. Whittaker (de chaudes basses lumières colorées accompagnées de flous granuleux séduisants).


Le terme de comédie-dramatique prend alors un véritable sens avec un film tel que See You Next Tuesday qui propose un honorable souffle de fraîcheur sur un genre généralement exploité à travers un prisme exclusivement commercial et formaté. Les prix du London Film Festival et Chicago Underground Film Festival l'ont compris et c'est à travers cet oeil nouveau qu'il faut reconsidérer ce tout premier film indépendant du jeune réalisateur.

Valushka
7
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le 23 juin 2015

Critique lue 324 fois

Valushka

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