Serenity
4.7
Serenity

Film de Steven Knight (2019)

Voir le film

Je conseille de ne rien lire sur le film avant de l'avoir vu, ceci bien sûr compris, des spoilers sont présents.


Critiques US peu flatteuses, flop au box-office et sortie française via Netflix pour minimiser les dégâts, le destin chaotique d'un film pourtant appelé "Serenity" ne laissait augurer rien de bon, tout juste pouvait-on espérer un thriller potable réunissant tout de même un casting luxueux composé de Matthew McConaughey, Anne Hathaway, Jason Clarke, Djimon Hounsou ou encore Diane Lane. Dans un sens, c'est la forme que prend lentement le film durant sa première heure mais, à mi-parcours, il va se muer en quelque chose de complètement inattendu grâce à une idée que l'on hésite à qualifier de génialement gonflée ou de suicidaire si l'on ne parvient pas à la gérer correctement mais une chose est sûre, celle-ci crée une surprise d'une ampleur insoupçonnable par son audace et, en mettant de côté la qualité globale du long-métrage, explique assez facilement le fait que celui-ci était difficilement vendable lors de sa campagne promotionnelle sans trahir toute la folie de ce rebondissement.


Les premières minutes sont déjà synonymes d'un début d'étonnement : en place du thriller attendu, on se retrouve face à un petit ersatz de "Moby Dick" où Matthew McConaughey incarne Baker Dill, un pêcheur obsédé à l'idée d'attraper un gigantesque thon rôdant souvent autour de son bateau à chacune de ses sorties en mer. Soit. Évidemment, cette fixette sur le gros poisson cache un traumatisme plus ancien que des flashbacks mettent grossièrement en relation avec un fils absent dont on ne sait pas grand chose. Pendant cette longue première partie , "Serenity" ne va pas chercher à trop s'étendre sur son intrigue mais uniquement à suivre les différentes virées de ce pêcheur ruiné dans le bar de la petite île, en mer ou en compagnie d'une Diane Lane ayant un méchant faible pour lui (elle n'est d'ailleurs tristement définie que par sa présence à lui). À moins d'avoir une folle passion pour la pêche au thon ou pour le corps musclé de McConaughey qu'il exhibe à la moindre occasion, dur de voir où "Serenity" veut vraiment en venir. Seul un homme en costume de représentant paraissant sans cesse poursuivre le héros instille un semblant de mystère mais cela reste encore très peu...


Le long-métrage va enfin véritablement révéler son apparente teneur avec l'arrivée d'une Anne Hathaway en femme fatale blonde pour l'occasion. Celle-ci est battue par son riche nouvel époux (Jason Clarke) et fait la proposition à son ex-mari de pêcheur d'éliminer cet homme violent lors d'une sortie en mer contre la somme de dix millions de dollars. À partir de là, "Serenity" va passer d'un poncif du film noir à un autre où les hésitations morales du héros à accepter cette proposition ou non vont devenir le coeur des enjeux. Même si ce qui nous est présenté à l'écran reste bateau (pardon...) entre un déroulement classique, des dialogues et situations presque incontournablement prévisibles ou encore des personnages (surtout féminins d'ailleurs) virant à la caricature du genre, "Serenity" se laisse gentiment suivre mais le sentiment que quelque chose cloche dans toute cette affaire reste prédominant. La scène invraisemblable où un Matthew McConaughey, nu comme un ver, plonge d'une falaise pour ensuite communiquer avec un fils qui n'est pas là et la toujours forte présence en arrière-plan du personnage du représentant laissent en permanence penser que le film peut basculer à tout moment vers quelque chose d'inconnu où la multiplicité de ses stéréotypes ne serait qu'un tremplin pour nous y guider. On a beau envisager toutes les hypothèses possibles sur ce que le film tente de nous dissimuler, le chemin connu qu'il suit consciencieusement vient parfois essayer de nous faire douter sur le fait qu'il y ait vraiment quelque chose de plus à en attendre...
Cela dit, à moins d'être très naïf, l'idée que "Serenity" cache néanmoins bien une énorme surprise reste dans un coin de notre tête et lorsqu'une conversation nocturne survient avec un certain personnage, on comprend rapidement que le moment d'une révélation capitale est venue. Cette séquence va d'ailleurs bien jouer avec les nerfs à la fois du héros et du spectateur en retardant au maximum l'échéance de la levée de rideau sur celle-ci... Puis, soudain, le coup de massue nous tombe sur le coin du crâne et, autant le dire, on n'avait rien vu venir. "Serenity" contient probablement un des twists les plus inattendus de ces dernières années et, bon sang, que ça fait du bien d'être réellement surpris là où on fait souvent les malins en anticipant ce genre de chose. Comme le personnage de Matthew McConaughey, on reste un bon moment sonné par ce choc qui, remis dans le contexte des événements l'ayant précédé explique bon nombre de directions prises ou de clichés utilisés tout en laissant perplexe sur certains points (les scènes intimes de Baker avec les femmes et le fait que ce dernier soit souvent dénudé notamment, on peut toujours y trouver une interprétation comme une influence inconsciente de la vision des femmes de la part du mari violent sur celui au centre de la révélation ou encore les premiers signes d'une puberté bizarre mais dur de justifier le côté exhibitionniste de Matthew McConaughey dans cette optique sans être un minimum malsain).


Après un tel coup de poker scénaristique, il fallait inévitablement savoir rebondir dessus pour que "Serenity" ne fasse pas retomber le soufflé. Cela va être hélas laborieux dans un premier temps, on peut bien sûr comprendre que cette vérité remette totalement en cause Baker pendant un petit moment (qui n'aurait pas du mal à avaler une telle nouvelle ?) mais le long-métrage va dangereusement stagner dans des répliques métaphysico-abscondes ne débouchant que sur des réflexions existentielles assez simplistes. En fait, il faudra attendre que les éléments de film noir de la première partie reviennent enfin sur le devant de la scène en se conjuguant à la nouvelle perspective offerte par le twist pour que "Serenity" retrouve un peu de vigueur. Ainsi, malgré une maladresse omniprésente, le mélange des genres de la dernière partie va avoir le mérite d'aller jusqu'au bout de son sujet en utilisant un certain passage à l'acte ultime (et les hésitations dans son sillage) de manière plutôt judicieuse sur un plan métaphorique tout en ne se défaussant pas de la noirceur que cela implique. Mais, d'un point de vue strictement émotionnel que la conclusion voudrait tant mettre en exergue, "Serenity" se montrera hélas moins convaincant pour nous toucher là où un tsunami de sentiments contradictoires aurait dû nous emporter. En l'état, ils sont bien présents et entraînent une certaine fascination mais l'explosion qu'ils auraient dû induire ne se produira jamais.


Il est toujours compliqué d'attribuer une note à un tel film, doit-on saluer le pari scénaristique gonflé qu'il représente ou rester sur le résultat bancal qui en découle ? Steven Knight n'était sans doute pas le meilleur réalisateur pour maîtriser une telle histoire (il aurait mieux fait de se contenter de peaufiner un peu plus le scénario) et on ne peut qu'imaginer la claque qu'aurait pu représenter "Serenity" entre d'autres mains plus expertes. Ici, on se retrouve avec un film à deux hémisphères qui ont tous deux des défauts majeurs mais qui sont reliés par une révélation aussi osée qu'inattendue (elle-même est aussi susceptible de cliver par sa teneur en plus). Au final, on préférera retenir l'audace qui habite ce "Serenity" plutôt que ses maladresses, après tout, le film a eu au moins le mérite de vraiment nous surprendre et c'est assez rare pour être souligné...

RedArrow
6
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le 9 mars 2019

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RedArrow

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