Par Sébastien Bénédict

Ne rien voir. C’est l’injonction des deux époux, ci-devant Jason Siegel et Cameron Diaz, désireux de retrouver vaille que vaille une vidéo compromettante, qui bien sûr ne saurait compromettre le film. Film cache-sexe, littéralement : à l’image de Siegel, qui en revêt un (il n’avait pas cette pudeur dans Sans Sarah rien ne va !), ou de Cameron Diaz qui a fait valoir pour la promo putassière sa nudité intégrale, évidemment disparue au montage. A l’heure qui plus est fatidique du Celebgate, Sex Tape ne fera donc rien pour lever ce qui reste le dernier tabou de la comédie US : sex is not comedy. Il y aurait pourtant beaucoup à faire de ce côté-là, les Farrelly ayant jadis montré la voie (réduite toutefois à une braguette carnassière et un gel efficace : Mary à tout prix, c’était il y a seize ans) : le burlesque y trouverait une force inédite de subversion, une salutaire réinvention là où les corps se doivent en général d’être performants. Sexe et burlesque partagent en effet la grimace, la commune tentative d’un envol invariablement commué en chute, dans les deux cas une permanente négociation avec le réel.

Sans compter que le montage ici ne censure pas seulement le burlesque, il invalide aussi la notion même de punchline. S’il est une qualité dont Sexe Tape est totalement dépourvu, c’est bien de punch, chaque réplique étant plombée par sa volonté de faire rire. Car une réplique réussie, on ne la voit jamais venir : c’est la puissante déflagration du hasard, sa complète identification avec le personnage, qui la rendent drôle. C’est d’ailleurs souvent le problème avec les comédiens qui sont aussi les auteurs de leurs personnages - ils confondent sketch et stand-up. Le stand-up relève d’une conversation où manquerait un interlocuteur (et pour cause : c’est le public), il sait faire oublier l’écriture dans le naturel d’un comédien parlant de lui et pour lui. Le sketch n’oublie jamais qu’il est écrit, il y faut beaucoup de talent pour que les velléités comiques de son auteur disparaissent derrière son personnage. Siegel, tout à une suite de sketches, ne fait donc jamais rire ici (pas plus que Cameron Diaz réduite aux utilités de son ping-pong verbal), précisément parce qu’il conserve ses prérogatives de scénariste plutôt que de se réinventer comédien.

Le problème vient pourtant du scénario, avant même une mise en scène plan-plan qui confond rythme et gesticulation. Comment faire rire avec le sexe quand justement il n’y en a pas ? Il faut en parler, au risque de l’humour touche-pipi. Loin des métaphores suggestives de la screwball comedy, mais en gardant le rythme de ses répliques à la mitraillette, cinéma et séries télé ont depuis longtemps fait le jeu d’appeler une chatte un chatte, d’évoquer tout haut ce qui pourrait faire oublier l’existence maintenant lointaine du Code Hays. Or là non plus, Sex Tape ne fait pas franchement dans l’outrance, incapable de passer outre une bienséance jamais bienvenue en pareil cas. Ne rien voir donc, mais aussi ne rien entendre.

Enfin et surtout, à aucun moment les époux next door ne se posent la question de savoir si la vision de leurs ébats intimes ne pourrait pas leur assurer une confortable célébrité. C’était pourtant le vrai sujet du film, qui lui tourne ostensiblement le dos.
Chro
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le 11 sept. 2014

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