Malgré ses airs mineurs, sa candeur limpide et la simplicité de ses effets, le film de Steven Soderbergh reste pourtant une grande Palme d’Or. Grande parce que Sexe, Mensonges et Vidéo détient les caractéristiques d’œuvres qui hypnotisent et emmènent le spectateur vers des contrées insoupçonnées à la manière d’un David Lynch ou d’un Jim Jarmusch.


Le postulat de départ est, cependant, assez simple : un couple, John et Ann, ne couche plus ensemble. Le mari, avocat prometteur, mène une double vie et entretient une relation avec la sœur d’Ann, Cynthia. Un jour, Graham, un ancien ami de John, fait son apparition et va, de part l’une de ses activités personnelles, créer le malaise et détruire le schéma de vie nébuleux que se construit petit à petit ce trio adultérin. La première scène, qui voit Ann parler à son psychologue, décèle tout de suite les ingrédients de Sexe, Mensonges et Vidéo : une mise en scène souple et pudique, des acteurs dont le naturel éblouit l’écran (magnétique Andie McDowell) et surtout une aisance à parler des sujets qui fâchent, à vouloir enlacer les secrets enfouis en chacun comme le sexe ou la masturbation.


C’est le thème central du film : la parole et la communication. Une parole qui est à l’écoute de l’autre, qui essaye tant bien que mal de se sortir du guêpier qu’est le mensonge. Une parole qui occasionne de sortir de la fictionnalité de sa vie et de ses apparences pour avancer vers une véritable réalité, c’est-à-dire la sienne. Derrière cette énième figure du trio amoureux qui vit sous le mensonge, Steven Soderbergh aurait pu nous resservir le plat habituel de la comédie romantique ou du vaudeville bourgeois qui ne s’assume pas. L’homme avide de sexualité, la femme qui reste à la maison et qui n’ose pas penser à ses propres désirs, puis la sœur, aux accoutumances artistiques qui appréhende son corps de manière plus libérée : le schéma est couru d’avance. Sauf que le jeune cinéaste, qui en est à son premier film, va au-delà de cette proposition originelle et va épuiser les ressorts du drame domestique pour en faire un portrait de femmes prodigieux, trouble et surtout une introspection fine des mœurs et de la morale du couple comme avait pu le faire, à sa sauce, Stanley Kubrick avec Eyes Wide Shut. Ce personnage de Graham qui pourrait presque s’apparenter à celui de Steven Soderbergh s’accroche à ses obsessions et est le principal déclencheur de ce marasme : il mène une expérience, celle de filmer des femmes avec leur consentement qui parlent librement de sexe, tout en essayant après coup de prendre du plaisir lui-même en regardant les enregistrements sur sa télévision. Ce n’est pas anodin : la vérité émane d’un écran secondaire. Steven Soderbergh nous questionne sur la place de la caméra, sur notre regard de spectateur, sur l’étroite frontière entre le voyeurisme et l’empathie, et la capacité qu’a l’art à entrevoir le vrai, la salissure et non le faux, le maquillage.


Face à la caméra, ces femmes laissent de côté toute l’artificialité de leur quotidien pour se livrer et se mettre à nu au sens métaphorique du terme, quitte à reprendre les rennes de l’interview et dévisager celui qui questionne pour qu’il réponde lui aussi à ses problèmes. C’est un jeu du chat et de la souris auquel s’adonnent Ann et Graham dans une longue séquence finale impressionnante de part sa justesse et son retournement de force. La notion de justesse est celui qui sied le mieux à Sexe, Mensonges et Vidéo : le film est d’un naturalisme assez âpre, avec ses cadrages et sa lumière minimaliste qui orchestrent au mieux le charisme ensorcelant de James Spader et Andie McDowell servis par des dialogues qui entremêlent idéalement notre rapport au sexe et la difficulté d’en assumer l’expression dans la société. La présence de l’énigmatique James Spader fait irrémédiablement penser à Crash de David Cronenberg tourné quelques années après le film de Steven Soderbergh, avec ce James Spader : deux films qui interrogent sur le couple, son rapport à la jouissance mais l’expriment de manière diamétralement opposée : l’un est doux et réflexif, l’autre sera abrasif et érotique. Pourtant, le résultat sera le même : du grand cinéma.


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Velvetman
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le 25 avr. 2019

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