L’ombre n’est pas l’antithèse de la lumière
« J'ai tout donné au soleil, tout, sauf mon ombre » disait Guillaume Apollinaire. Cette citation, Lorenzo Recio se l’est sans aucun doute appropriée dans son dernier film au titre équivoque, Shadow, « ombre » en français. Dès les premières images, le ton est donné : Xia Shou, le personnage principal, exerce son art de montreur d’ombres dans un théâtre chinois. Le spectacle est ciselé, élégant, immaculé. Les ombres se distinguent avec grâce sur un fond lumineux pour une allégorie de ce qu’il va suivre, un condensé de la rhétorique du réalisateur.
La rhétorique justement. Shadow tend à montrer que l’ombre n’est pas l’antithèse de la lumière, qu’au contraire elles sont deux choses qui parfois se combinent, plus ou moins harmonieusement. Ainsi Xia Shou, lorsqu’il rencontre une jolie blonde prénommée Ann, voit violemment les escarres de sa vie mis en pleine lumière. Son frigo est vide, les théâtres où il se produit aussi. Mais l’apparition d’Ann, qui l’obsède rapidement, permet de mettre en relief ce qui lui fait réellement défaut : la braise de l’amour.
Mais la braise est ardente et le montreur d’ombres ne tarde pas à se bruler. Xia Shou décide alors de tout tenter pour mettre la main sur cet amour qui lui manque tant, la sublime Ann. Se met alors en place un processus aussi poétique que kafkaïen qui aboutira à la disparition physique de Xia et à l’anéantissement moral d’Ann. De cette fragmentation exercée par la lumière (Xia disparaît car il ne la reflète plus, Ann parce qu’elle ne la dévie plus) nait une troisième entité à part entière, une entité dans laquelle se fondent harmonieusement les deux personnages principaux. Le fruit de cette fusion, le réalisateur le révèle au spectateur dans un dernier plan en apothéose noyé dans la lumière.