Les doigts d'or.
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La société dans laquelle évoluent les protagonistes de Shampoo est marquée par une atrophie du désir qui, derrière l’omniprésence de la chose sexuelle, brime les individus en les enfermant plus profondément encore dans leur caste, dans leur classe sociale. Le choix du salon de coiffure comme microcosme à partir duquel se retranscrivent les dérèglements à l’œuvre fonctionne à merveille, tant ce lieu de passage et de parole constitue un creuset social devenu entre-temps sociologique pour le réalisateur et son équipe. Tout de blanc composé, le salon s’affirme telle la projection idéale du système politique en place : vierge de toute corruption, transparent, reflet du beau. Or, la figure de Nixon vient harceler ce cadre idyllique et le mettre en péril, à la manière d’un arrière-plan qui pourchasse la liberté individuelle. Car qu’est-ce que la coiffure, sinon la revendication d’une personnalité capable de faire ses propres choix et de les assumer ensuite à la vue de chacun ? Il s’agit d’un art inutile, et pourtant si nécessaire, de l’art à proprement parler, celui qui s’érige en marge de la politique et qui, néanmoins, bâtit sa révolution esthétique à partir des exactions du pouvoir en place. Notre coiffeur et don Juan, George Roundy, n’arrête pas de lutter contre l’argent en tant que réalité imposée aux êtres : humilié par un banquier, il jette son manteau dans une poubelle avant de renverser cette même poubelle, en veillant à récupérer son manteau. Roundy est placé, dès le début, du côté du peuple, à la grande différence des femmes et des hommes rencontrés sur Beverly Hills, qui ne sont occupés que par leur apparence médiatique. Ce conflit entre libertin et dominants, aussi virulent puisse-t-il être – tout en étant fort drôle, voir à ce titre la scène d’amour interrompue par la lumière du réfrigérateur, condamnation ironique de la société de consommation – s’achève néanmoins sur de l’immobilité ; et derrière l’entrelacs des cultures et des niveaux sociaux brille finalement une stérilité des plus cyniques, constat désabusé d’une société américaine obsédée par la reproduction des élites (bien que médiocres) et des barrières dressées entre les individus. Shampoo rêvait de laver les inégalités dans une même communion sexuelle, il n’aboutit qu’à parer la caste dominante de la plus belle coiffe, entretenant ainsi son pouvoir de fascination. La mise en scène, à la fois très soignée – le cadrage, les plans, la photographie, tout cela est réalisé de main de maître – et libérée – pensons ici aux courses de moto – fait planer sur le film une distance critique et satirique délectable. Shampoo est une œuvre aujourd’hui injustement méconnue, dont la verve contestatrice n’a pourtant rien perdu de sa superbe. À (re)découvrir.
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le 7 juil. 2019
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