L’aliénation mentale a toujours été un ressort dramatique particulièrement efficace : elle permet des sorties du cadre à la fois effrayantes et fascinantes, et peut devenir un alibi assez pratique en terme d’écriture. Aborder la maladie mentale n’est en réalité pas chose facile : pour dépasser le simple folklore, il faut avant tout choisir un point de vue. Celui adopté par Fuller dans Shock Corridor est à double tranchant : un journaliste se fait volontairement interner dans un asile psychiatrique pour y conduire une enquête et interroger des patients qui auraient été témoins d’un meurtre. L’homme sain chez les fous, doté d’une quête spécifique qui n’a rien à voir avec eux déplace ainsi l’enjeu initial, et va venir plomber bien des développements du récit : Fuller s’en tient à cette volonté de résoudre un crime, histoire assez insipide et ligne directrice qui instrumentalise tout le reste.


Le recours à la voix off ne va pas arranger les choses ; elle semble au contraire résumer les erreurs de l’ensemble : surexplicite, caverneuse, elle déplace maladroitement sur le terrain du film noir une œuvre qui avait tellement d’autres sujets à développer.


Le rapport aux patients sera donc systématique : une approche, une confession dans un élan de lucidité du malade qui arrive à point nommé, puis un retour à la folie. Les témoignages se font par le biais d’un montage chaotique et d’un recours à la couleur dans un film en noir et blanc… Au-delà de la petite coquetterie esthétique, on a du mal à percevoir l’intérêt, d’autant que Fuller prend soin de bien typer les traumas, dans un regard panoramique sur les maux de son époque : le traumatisé par la guerre, celui par la ségrégation raciale…


À cela s’ajoute l’inévitable dérapage du personnage principal, en proie à la contagion de toute cette folie, par des cauchemars récurrents et des symptômes (impossibilité de parler, perte de mémoire, accès de rage) qui sont à chaque fois des éléments bien pratiques pour contrarier l’avancée de son enquête.


De la même fonction que l’entrée dans l’asile n’était pas crédible une seconde, rien ne tient vraiment la route. De façon paradoxale, alors que le récit ne cesse de nous offrir une galerie de portraits d’aliénés, on attend en vain que la folie soit regardée en face.


Pour cela, il faudra attendre une bonne douzaine d’année, avec le coup d’éclat que sera Vol au-dessus d’un nid de coucou.

Sergent_Pepper

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