Un honorable pastiche thaïlandais de la J-Horror (mais un pastiche reste un pastiche...)

Cela faisait longtemps que je voulais voir ce Shutter à la très bonne réputation; ce film m'intéressait d'autant plus par son pays d'origine, la Thaïlande, preuve que le mouvement horrifique ayant vu le jour au Japon dans les années 1990 (la fameuse J-Horror) avait su faire des émules dans d'autres pays asiatiques que la seule Corée (avec sa K-Horror).
Mais, partant de ce constat, peut-on aller jusqu'à parler d'Asian Horror, c'est-à-dire d'un mouvement cinématographique qui, au-delà de ses racines nippones, ait su véritablement s'implanter et résonner profondément dans de multiples (c.à.d. au moins plus que 2) cultures asiatiques? Or, Shutter ne donne pas vraiment de l'eau au moulin à cette thèse... En effet, à défaut d'être toujours brillants, les films d'horreur coréens du début des années 2000 (Into the mirror,2 soeurs, etc.) avaient au moins incontestablement de la "personnalité". Tandis qu'ici, nous sommes face à un pur pastiche, quasiment pas déguisé, de la production nippone de ces années-là! Pour quiconque a un peu vadrouillé au cœur de la production J-Horror, les nombreux emprunts formels et thématiques sautent en effet littéralement aux yeux:

• la mode des photos "hantées" au Japon a quasiment été à l'origine même du mouvement J-Horror au cinéma, le thème étant déjà fortement présent dans Ring et évoqué dans bien d'autres production (la capacité d'un revenant à "impressionner" les pellicules argentiques est un des plus grands lieux communs de la J-Horror! Par ailleurs, une très célèbre série de jeux vidéo, les Project Zero, fondés sur ce principe avait vu le jour dès 2001, soit 3 ans avant ce film...) ;
  
  • (faut-il le mentionner?) le thème de la femme bafouée cherchant vengeance est lui aussi des plus éculés, dans la production J-Horror (c'est ce mouvement qui a sans doute usé le plus ce thème jusqu'à la corde!) mais aussi plus largement dans toute la production horrifique japonaise d'après-guerre;
  
  
  • beaucoup de séquences font également fortement penser à (voire copient sans vergogne) des sommets de la J-Horror: pour ne citer qu'un seul exemple,
    

    la scène cauchemardesque où la tête-à-claque qui sert de héros au film se retrouve suspendu à une échelle, traqué par le spectre, fera forcément penser à la célèbre scène de Ring 2 où les héros se retrouvent poursuivis dans un puits par le fantôme de Sadako.

Bref, on peut tout d'abord globalement reprocher à ce film d'être surtout dans l'imitation et de ne pas avoir vraiment d' "âme" à lui, pas en tout cas au point d'y voir le représentant d'un véritable courant thaïlandais du film de fantôme (qui serait constitutif d'une véritable T-Horror).

Mais au-delà de ces querelles "généalogiques", le film est également tiré vers le bas par un scénario qui, outre son caractère in fine très générique, ne semble pas toujours très maîtrisé et dont les quelques bonnes idées ne sont sans doute pas suffisamment bien exploitées:

• notamment, le film n'exploite pas assez, de mon point de vue, son point de départ photographique: si l'efficace première 1/2 heure demeure bien centrée sur le sujet (belles scènes dans la chambre rouge où le héros développe ses films; la séquence assez réussie de la "panne de courant", etc.), le film s'en éloigne malheureusement peu à peu au fur et à mesure, au point de donner le sentiment au final que ce fil narratif autour des photos hantées n'était sans doute qu'un pur habillage, agréable mais somme toute un peu superficiel, autour d'une histoire de vengeance ultra-basique; et si certains éléments importants du récit sont bien amenés à travers l'analyse de photos (en particulier du fait de la petite amie du héros), ces "enquêtes" sont souvent mal introduites et semblent quelque peu tirées par les cheveux (
  

  "tiens, l'ombre fantomatique passe devant une fenêtre, huhum, il doit y avoir quelque chose dans ce bâtiment!"...Euh, bah non, en fait, ça devrait pas être aussi évident que ça

);
- de même, l'idée formellement la plus intéressante du film n'est clairement pas assez exploitée!(spoil)

Voilà pour cette recension d'un film qui, malheureusement, n'a pas su vraiment répondre à mes attentes. Mais je précise encore une fois que je commence déjà à avoir un passif important en matière de J-Horror, donc je ne doute pas que ce film puisse tout de même faire son petit effet à des spectateurs un peu moins au fait des ficelles du genre; le film n'est pas moche du tout, les acteurs corrects, certaines séquences sont vraiment bien troussées; on ne passe clairement pas un mauvais moment en regardant ce film. Mais par manque d'originalité, ce film ne me marquera pas durablement.

N.B. en référence à d'autres critiques: euh, parler de "Ring killer" pour ce film, bonjour la rigolade! Ce serait comme de dire, je sais pas, que Les 7 samouraï de Kurosawa a été tué par son remake ricain, ou encore que Tigre et dragon a écrasé La 36e chambre de Shaolin! Restons sérieux...