La Cinéxperience, un moment traumatisant (non.)

Nous sommes arrivés en avance à la Cinexpérience. Il faut s'avoir qu'une Cinexpérience à Bastille, arriver en avance ou arriver en retard se détermine par le temps que tu mets à bouger tes fesses de l'endroit où tu manges tes nuggets à l'endroit où la queue grandit. Soit à peu près deux minutes. Nous prenons donc quatre minutes, pendant lesquelles cinquante personnes s'amassent. Dans la file, il y a des femmes aux cheveux rouges, des femmes aux cheveux bleus (c'est visionnaire, mais on y reviendra) et des femmes sans cheveux (c'est visionnaire, mais on y reviendra). Le public invité semble assez éclectique, entre 25 ans et 25 ans en moyenne, à brûle-pourpoint. Le Majestic Bastille n'étant pas le cinéma le plus fréquenté de la capitale, beaucoup de gens nous arrêtent pour nous demander pourquoi nous faisons la queue. On ne sait pas, qu'on répond. Vous ne savez pas, qu'ils demandent. C'est un film surprise, en fait. Ah bon, mais pourquoi, questionnent-ils en insistant. C'est vrai, ça, pourquoi. Expliquer que c'est Senscritique, qu'on est tirés au sort, que l'on va sûrement voir un film que la personne en face ne connait même pas, avec la chaleur environnante, les gens qui se prennent pour Moïse à vouloir séparer la file en deux pour pouvoir passer - parce qu'ils doivent sentir la bienveillance dans les yeux d'Evy - le bruit et la fille derrière qui mange son sandwich avec du thon sur la joue, c'est injouable niveau prise de parole. Alors on dit je sais pas, alors on nous dit bon film, alors on dit merci. 30 minutes de queue, et heureusement un jeune homme très sympathique distribue des glaces pour patienter la trentaine de secondes qu'il reste avant d'entrer dans le cinéma. Marine dit non, pas envie. Deux personnes en face s'exclament : ah mais c'est gratuit ? Marine dit oui, en plus elles font très envie. On entre dans le cinéma. L'agent de cinéma qui déchire les tickets déchire nos tickets. Evy lui dit qu'il est Evy Nadler. L'agent s'en fout. Marine rajoute que les places pourraient être offertes, du coup. Nous avons gain de cause, nous n'avons rien payé. Nous entrons dans la salle bondée, personne ne reconnait personne et on se rend compte que SensCritique est quand même une famille un peu plus grande que prévue. Le grand jeu du moment est de savoir qui correspond à Aurea, qui correspond à Torpenn, qui correspond à Sheryfa Luna ; elle est passée devant le cinéma, mais ça le show-bizz vous n'en avez rien à foutre. On pose nos derrières sur une rangée de trois.


Quand arrive un jeune homme blond qui se place derrière nous. « Il ressemble à Vald », dit alors Evy en quête de célébrité, déçu de n’avoir reconnu Aurea ou Torpenn. « Pas du tout », répond Marine.
Généralement, quand on va au cinéma pour une séance à 20h, trois catégories de personne peuplent la salle : ceux qui mangent avant, ceux qui mangent pendant, ceux qui mangent après. Et visiblement, Vald faisait partie de cette deuxième catégorie sociale fils de putienne, communément appelée les morfales.
Ce dernier aurait pu opter pour une glace gratuite, silencieuse donc tolérée, mais non, non, pourquoi se priver d’un paquet d’un kilo de bonnes chips croustillantes; pourquoi se contenter de beaux moments de silences cinématographiques quand on peut les ponctuer de grands et infâmes coups de mâchoire; pourquoi rester concentré sur le film plutôt que de savourer goulûment sa pitance, pourquoi ne pas dîner après, tandis qu’on peut gâcher la Cinexperience de ses compères.
(Intégrer le fait qu’il gloussait pendant les scènes mafioso-lacrymales, un vrai dur / on peut d’ailleurs s'imaginer que c’était lié au fait que son cerveau était encombré par le gras de ses chips / ou parce ce que c’était un cadre éminent du Hezbollah.) Le générique se dévoile, une multitude d'annonceurs sont annoncés, un tiers de la salle rit. Evy rit parce qu'ils rient, Marine rit parce qu'Evy rit parce qu'ils rient. Le film commence, et il sera un de ces nombreux moments dans la vie où tu profites de chaque instant. Parce qu'il existe de la sensibilité dans chacune des petites parcelles de ce que l'on peut voir, entendre, comprendre, toucher. Certains seront émus aux larmes devant un coucher de soleil, d'autres seuls ou avec des dizaines de personnes. Ce qui semble être rien pour quelqu'un peut être tout pour l'autre. C'est la beauté de ce film que de nous le rappeler.


Sicilian Ghost Story nous raconte l'histoire d'un amour adolescent fantasmé par les songes, une relation épistolaire à sens unique qui ne connaîtra son apogée qu'à l'extrême absence de l'autre. Avec son lot de métaphores et d'élans poétiques, le film laisse au spectateur le soin de trouver la douceur et la douleur là où il le souhaite, le coeur léger sur des dialogues épousés par la retenue, ou le coeur lourd sur des scènes à l'issue ineffable, toutes mêlées entre elles pour ne former qu'une idylle qui leur ressemble. L'essence même du film est de ressentir toute la passion dévorante de deux jeunes amoureux, pieds et poings liés par leur absence de libre-arbitre. L'enlèvement que subit Giuseppe est à mettre en relation avec les sentiments que semble presque subir Luna, qui comble cette absence et ce vide par une présence omniprésente en elle du jeune homme. Si les réalisateurs abusent parfois inutilement d'une esbroufe tronquée, comme filmer le bruissement des arbres en contre-plongée ou la violence en plongée, Le film reste tout de même d'une subtilité rare et enivrante, et propose avec originalité un traitement différent d'un tel drame. Sicilian Ghost Story, ce sont des âmes dont on devine la frustration par de simples gestes, qui veulent être vus sans rien montrer, comme Giuseppe qui sait déjà que sa liberté n'existe plus ou comme Luna, qui parle à son amie par des jeux de lumière ou pour qu'on la remarque se teint les cheveux en bleu, par rébellion, par mutisme aussi, sûrement. Le charisme des acteurs joue pour beaucoup dans ce film, et les quelques mélodies qui viennent accompagner certains actes sont des bouffées d'oxygènes qui participent au côté sensoriel de cette histoire d'amour.


Evy et Marine, vos reporters sans frontières.

Marinelle
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le 9 juin 2018

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Marine  Notule

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