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Ado j’avais lu les comics de Frank Miller, puis vu l’adaptation de Rodriguez pour en faire un de ces films “cools” qui a beaucoup tourné dans mon lecteur DVD. Mais cela fait bien 15-20 ans que je ne m’étais pas replongé dans ce truc bien gras, et la connaissance du reste de l’oeuvre de Miller, ainsi que son côté réac’ à la ville, et la filmo en dents de scies du réal’ m’ont pas mal fait appréhender une nouvelle vision avec un regard d’adulte. Il aura fallu la joie d’un Alita pour me dire que, peut-être, n’avais-je pas des goûts douteux à l’époque.
Le logo Weinstein qui ouvre les crédits n’a rien fait pour me rassurer. Ni ce male gaze incessant qui ancre le film dans une autre époque. Mais à force de violence, de sexe et de frénésie de l’action, je me suis à nouveau pris au jeu. Après tout, la crasse est annoncée dans le titre : Sin City est amoral, bourrin, exubérant. Le regard douteux accordé aux femmes ne dépareille pas de celui donné aux hommes. Tous les personnages sont à la même enseigne, un grouillot de vermines dans une ville qui a dépassé le stade de la rédemption. Bassin City, c’est New-York sans le nettoyage de Giuliani, c’est Gotham sans l’écu de Batman. La fange y est palpable, malgré que la totalité du film soit tournée sur fond vert (on peut d’ailleur voir la péloche entière sans post-prod sur la galette, à nue comme ses actrices, en version accélérée 800 fois pour une durée de dix minutes, c’est assez édifiant comme document).
Le terreau parfait pour un néo-noir qui se pare quasi intégralement de monologues intérieurs névrosés, d’imposantes bagnoles des fifties, et de femmes fatales fumeuses et buveuses. Le tout boosté par une rythmique sans respiration qui fait l’impasse sur les dialogues transitoires et autres interrogatoires (puisque par la narration, on peut discuter en agissant), nuisibles à la cadence. On n’a pas le temps, il ne faut pas lâcher le rush de dopamine.
Evidemment, ce qui a marqué avec ce film, c’est l’esthétique. Ce n’est pas un comic que l’on adapte au cinéma, mais ce dernier qui s’invite dans le premier. L'œuvre de Miller a servi de storyboard, et toutes les scènes ont été testées en VFX pour rendre cet aspect planches en mouvement. Le jeu des lumières découpent les silhouettes alors que le noir et blanc est véritable, effaçant les gris habituels et ne s’accentuant que de rares touches de couleurs emphatiques des états mentaux des personnages. Les trognes sont impossibles, et les découpages nerveux. A l’instar d’un Watchmen qui signait la meilleure péloche de Snyder grâce au matériau d’origine, Rodriguez marche dans les pas du bédéiste, conscient qu’il n’a pas à toucher au modèle pour qu’il fonctionne.
Alors certes, Sin City est imparfait, parfois redondant et quelque peu daté sur ses représentations. Mais il reste une plongée singulière dans un univers, une vision noire d’un monde déliquescent. Un fix sans dentelle qui n’a pas peur d’être régressif pour aligner sa hargne, conjugué à des délires de pur geek à base de cuir, de katanas et de gueules traînées sur le bitume, et à un formalisme détonnant. Ça m'a plus ado, ça me plaît toujours.