Au début de sa carrière, Frank Miller se voit remettre la direction de Daredevil par les Marvel Comics, en tant que dessinateur et scénariste. Pour cette vieille série lancée en 1964 et stagnant depuis, ce sera l’occasion d’une renaissance. Plus tard, Frank Miller crée sa propre bande dessinée, Sin City (1991-2000). Robert Rodriguez, collaborateur de Tarantino, en est fou et veut absolument le transposer au cinéma : le transposer plutôt que l’adapter, car le film devra être celui de Miller, tel que la BD. À force de sacrifices et d’investissement, Rodriguez finira par convaincre Miller de le rejoindre en tant que co-réalisateur.
Sin City sort en 2005 et frappe les esprits par sa splendeur visuelle et son style singulier. Respectant scrupuleusement la BD, il est en noir et blanc, avec quelques couleurs ponctuelles sur des objets, des yeux, lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention ou l’émotion sur un élément en rupture. Le spectacle peut être un choc, une révélation même ; et en cela Sin City aura toujours un point pour lui. Toutefois la machine tourne à vide. Fabrique totalement random et sans contenant, Sin City cultive les mêmes motifs, actions, mots, déclinés sans arrêt. La joliesse, voir le raffinement, ne peuvent suffire à un long-métrage : le film en devient un Marienbad badass.
Les dialogues sont d’une grande connerie ; les groupies opposeront que c’est là l’esprit recherché, que c’est pour faire comme dans la BD, qu’il s’agit d’une attitude ! Or ce n’est pas parce que la bêtise est un parti-pris qu’elle en devient valable. On doit admettre la réussite formelle, même pour la nuancer ; puis on reviendra toujours à l’identité du produit. Justement cette grandiloquence plouc est la norme dans la galaxie Sin City, comme cette dimension onirique et libidinale, avec ces otages consentantes et appétissantes. Et alors que Frank Miller a été réputé, en tout cas sur Daredevil, pour la qualité de ses scripts et de ses personnages, ici le scénario s’avère d’une médiocrité crasse.
Il n’y a pas l’ombre d’une idée, du symbole lourd pullulant aisément, des protagonistes poussifs cherchant à constituer l’archétype du héros badass. Marv par Mickey Rourke est le plus abouti dans ce domaine, mais Hartigan (le principal) par Bruce Willis et Dwight par Clive Owen apparaissent comme les pales copies du précédent. Et concernant Marv, le trait est aussi lourd que les prétextes mollassons : fondamentalement, celui-ci est parti venger sa Goldie, assassinée au terme d’une grande histoire de culbute une nuit. Elle n’existe pas dans le film, ni pour lui : mais il va buter quelqu’un et en chemin, car il est dans une BD, il rend l’affaire romantique, au moins avec ses phrases à lui.
Malgré sa colonne vertébrale douteuse, le film fut un immense succès et incita Frank Miller à se lancer dans la réalisation avec The Spirit ; et à produire le 300 de Zack Snyder, où deux visions controversées et deux styles voisins se sont rencontrés.
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