Engagé dans une profonde réflexion sur l’image (photographie, peinture, miroir), Jean Epstein s’intéresse ici à la photographie et au mystère qui entoure sa propension à immortaliser ce qui, justement, se trouve être mortel : dans ce jeu constant entre l’acteur mobile et l’art aux reflets d’éternité, le cinéaste entend représenter la beauté assassinée, à la fois celle de la femme dans la première version non censurée et celle d’un homme aimant qui voit celle qu’il aime s’éloigner de lui. Le film s’ouvre d’ailleurs sur le recueillement des deux frères sur la tombe de leur parent, ce qui annonce, à la manière d’une prolepse, la clausule choisie par Epstein. Les intertitres poétiques insèrent l’intrigue dans une tonalité mélancolique : en lisant « ELLE ! », on pense à André Breton ou à Paul Éluard, soit au surréalisme et aux représentations de la beauté féminine comme supérieure et inaccessible. En accordant une attention toute particulière au corps masculin et surtout féminin, le cinéaste transforme la caméra – et son art tout entier – en prolongement naturel de ses sens, et place d’ailleurs dans le film l’appareil photo comme un moyen de vivre la réalité (cf. scène des deux amants dans le jardin). Pour l’art, il faut une machine « intelligente » au fonctionnement quasi magique, de la lumière naturelle, une beauté ; sa logique suit un mouvement de disparition : le corps saisi devient image mais disparaît du cadre, voire quitte le monde des vivants. Par son titre énigmatique que nous pourrions accorder aux âges de la vie si nous ignorions qu’il désigne le format cinématographique adopté ici, Six et demi, onze mêle deux mystères qui se conjuguent et se subliment l’un l’autre : le mystère de l’homme et le mystère de la photographie, tous deux rassemblés par le cinéma. Une œuvre magnifique.