Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes
M. Frank Appache et ses sociétés de production Glockbuster Films & Hochellywood Productions nous présentent Sleazy Pete, qui est à la base une preuve de concept ayant pour but la production d'un futur long-métrage, et une adaptation d'une fausse bande-annonce réalisée par Appache lui-même raisonnablement nommée Shepherd of Death ( disponible ici : https://www.youtube.com/watch?v=iZtR5ryPCMw). Un film pour le coup bien grindhouse des eighties. Connaisseurs, c'est pour vous !
Un monde en pleine apocalypse, une humanité en pleine apocalypse, la notion de bonté-même en pleine apocalypse..., dites-donc, heureusement qu'on a droit à Sleazy Pete, prêtre chauve-maque-junkie-tueur psychopathe comme guide à travers la ville. C'est alors une humanité qui a manifestement subit une bonne dégringolade en pleine beauté que Frank Appache nous propose. Un monde apparemment totalement vidé de toute bonté. Enfin, de bonté telle qu'on la voit actuellement. On y suit Sleazy Pete et son disciple Hedix, parcourant la ville afin de retrouver deux sachets de "flocons" (la cocaïne hein). Frank Appache a choisi la narration classique du récit d'initiation où en tant que spectateur nous sommes au niveau de Hedix, toujours attaché aux valeurs de son monde anté-pocalyptique qui est donc le notre, suivant le prêtre Sleazy Pete qui lui est totalement ancré dans son monde et ses valeurs en pleine apocalypse. Il est donc bel est bien notre véritable guide. Et c'est à travers Pete que l'on comprend l'état des choses. Il représente bien comme tout prêtre la bonté, mais la notion de bonté est elle aussi pleine apocalypse, en plus de la ville et de ses habitants qui, infectés, deviennent des mutants. La bonté est devenue toute autre chose. Les livres saints sont remplacés par des sachets de coke lorsque notre prêtre transmet un peu de poudre blanche comme il transmettrait de nos jours la parole sacrée, et les prêtres ne sont manifestement plus ce qu'ils étaient puisqu'ils tirent au lieu de faire des bénédictions et se permettent de se plaindre d'une mauvaise marque de clope qu'on leur dépanne lorsque leur compagnon Hedix n'a quasiment plus de tête. Ce qui est aujourd'hui le crime et entrain de devenir la normalité dans cette ville. Ce film aurait pu s'appeler "La bonté selon Sleazy Pete".
Alors histoire de présenter à quel monde on a affaire, Appache nous plonge donc dans une balade à travers la ville, une ville de pur film noir des années 40/50 bien corrompue mais façon grindhouse années 80 avec son bon vieux look cartoonesque, exagéré, et plus-trash-tu-meurs. Et l'un des points forts de Sleazy Pete est qu'on ne se pose pas de questions on suit le film qui coule, et coule d'un seul fil d'une fluidité remarquable; et alors on coule encore et encore avec lui sans que jamais rien ne casse cette symbiose. On se laisse emporter dans cette chasse à la coke sans broncher. Et cela est en grande partie le fruit d'une crédibilité et d'une solidité de la représentation du monde apocalyptique visible à l'écran bien maquillé façon film d'exploitation eighties. Un univers formidablement reconstitué, et pour un budget pourtant si minime (2500 dollars canadiens!). C'est-à-dire que l'esthétique des films grindhouse des années 80 et les genres qui l'accompagnent sont parfaitement compris et maîtrisés par le réalisateur : le quasi-surjeu des acteurs, violence bien cartoonesque (j'en parle après, promis), bande-son, l'humour comme on l'aime (Pete qui flanque une balle en plein dans le crâne d'un SDF demandant de la sainte cocaïne : "mais prêtre, Dieu dit d'être bon avec son voisin" "il est SDF il n'a pas de voisin"), costumes trash (le médecin-cyborg et notre ami afro-américain de la scène de clôture) etc : tout colle ensemble pour nous donner un merveilleux film d'exploitation des années 80 comme on les aime.
Mais il y a en revanche de ce côté-là quelque chose que l'on pourrait reprocher à ce film.
C'est un film 100% grindhouse années 80, qui aurait définitivement pu être de ces années là, Frank Appache semble réellement être remonté dans le temps des eighties jusqu'à notre époque pour faire son film, c'est-à-dire qu'aucune perversion liée au fait qu'il soit un réalisateur des années 2010 (né en 85, donc bien contemporain à notre époque) qui fait un film en 2017 dans l'esthétique des années 80 n'est visible dans son film. Il a fait un film des eighties comme de vrais réalisateurs des eighties le faisaient à cette époque. Alors maintenant le problème serait le support. Ce film purement série B années 80 où des têtes écrabouillées deviennent des vulgaires masques de latex dans le plan suivant est pourtant filmé en caméra digitale 4K à l'aspect bien numérique avec un son impeccablement pur et propre. Il y a un réel décalage entre l'esthétique trash, exagérée, cartoonesque de ce qui est filmé et l'esthétique pure, propre et s'approchant beaucoup du réel de ce qui filme. Et ça fait mal à la crédibilité du film. La texture de l'image et du son a par moments du mal à s'associer avec ce qui est filmé, ce qui fera tourner le dos aux spectateurs les plus durs et ce qui peut être quelque peu dérangeant pour les sales maniaques comme moi, notamment lorsque l'on commence le film, mais bon, après la scène d'ouverture, on s'y fait. Pourtant la fausse bande-annonce de Shepherd of Death réalisée aussi par Frank Appache possède elle un aspect très VHS qui donne plus de crédibilité aux éléments filmés, de même pour le carton de texte qui sépare la scène d'ouverture du reste du film, lui aussi très VHS... C'est d'ailleurs de ce problème dont souffrent la plupart des films d'exploitation de nos jours (le pourtant très bon Hobo with a Shotgun par exemple), notre ère ne permet pas de fournir cette crédibilité et ce malgré-tout sérieux qu'avaient les séries B d'antan filmées en pellicules 35mm crasseuses et compagnie. Mais bon, ce flagrant décalage entre le filmé et ce qui filme marque peut-être l'avènement d'un nouveau genre cinématographique dont l'esthétique propre est justement ce décalage. Le néo-grindhouse ?.. Néanmoins je penche tout de même vers une fidélité quant au support du film. Death Proof, Planet Terror et Black Dynamite n'auraient pas été si bons s'ils n'avaient pas imité le look oldschool du cinéma qu'ils reproduisent, en donnant un aspect de pellicule dégradée à leur image. On peut remarquer que Sleazy Pete a tenté quelque chose (qui ne passe pas inaperçu attention, ça lui est tout de même très bénéfique) niveau colorimétrie en saturant l'image, mais pas plus que cela, car atteindre une simulation rétro digne d'un Planet Terror, ça coûte bien cher! Sleazy Pete se révèle alors comme un film ayant tout de même ses faiblesses, prisonnier de l'enfer du manque de financements (maintenant aidez-les bordel de merde!).
Mais bon au pire on s'en fou de tout ça car la violence, elle est extra. Crânes écrabouillés, effusions de sang façon Chanbara, meurtres gratuits : Frank Appache appartient donc manifestement au camp des cinéastes qui revendiquent à 100% leur goût pour la violence au cinéma. Et les vrais mordus de cinéma aiment ça. "FANS DE VIOLENCE, C'EST À VOUS QUE JE M'ADRESSE" à l'air de crier Frank sur le plateau. "Reçu 5/5!" renvoie la caméra qui à l'air décidément d'être elle aussi une folle d'hémoglobine. La coquine est alchimiquement attirée par le moindre crâne qui se fait écrabouiller, ou par la moindre effusion de sang, fût-ce t'elle provenir du plus profond du sujet quasi-principal du film alias Hedix. La caméra quitte ses personnages le temps d'un crâne perforé par une balle ou par un gros pied. Frank Appache n'a pas commis l'erreur d'être trop gourmand quant à sa mise en scène, ça non! Il a ici la dose et le timing parfait : violence graphique très généreuse + gros plan + apparition furtive du plan = jouissance maximale. Vous allez à coup sûr être comblés par ces violences-éclair, plaisir garanti. À travers cette balade à la recherche de "flocons", F.A. nous fait des petits cadeaux dissimulés par-ci par-là dans tout le film. Les vrais savent de quoi j'parle. Et d'autant plus que les effets spéciaux qui font naître toute cette violence sont merveilleusement une pure réussite à nous faire oublier ce si petit budget (alors, oui les têtes écrabouillées se révèlent finalement être des masques de latex, mais hé! on est dans un film grindhouse des années 80!!). Bref, je suis jaloux.
Mais bon, maintenant direction Montréal au Festival Fantasia histoire de s'abandonner onze petites minutes le temps d'un nettoyage par le vide des salauds qui refusent de dire où est la satanée coke (oups! blasphème!) et le temps d'un voyage au bout de l'enfer avec comme guide spécial : Sleazy Pete.
(et aux producteurs de bouger leur cul pour produire le foutu long-métrage de M. Appache!)
Créée
le 13 août 2017
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