Smoking
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Smoking

Film de Alain Resnais (1993)

Le dispositif ? Un même début, des dizaines de films différents, reposant chacun sur le changement d'une phrase. Smoking/No S. s'annonçait dans mon esprit comme un film sur la bifurcation. Une phrase peut changer une vie, ou, Du règne du hasard sur nos modestes têtes. Cela aurait constitué un exercice de style fascinant, des considérations sur le rôle d'un sujet-verbe-complément dans une relation de couple

L'idée qui motive Resnais est de fait bien plus riche : les caractères, chez lui, ôtent ou remettent un masque, mais ne bifurquent pas. La « phrase » présentée en apparence comme l'unique élément causant le virement de bord d'une scène n'est qu'un pivot : entre une scène et son double, c'est un personnage qui change du tout au tout, et qui choisit la différence, sans la subir.

On sent poindre chez Resnais les enseignements de Montaigne : l'être humain est fluctuant, changeant, on ne peut en peindre l'être, mais le passage. Le caractère se languit pour une chose et son contraire. Je voyais ces deux films comme un jeu sur le langage, ils se doublent d'une rêverie plus profonde sur l'amovible ; amovible des pensées, des désirs, des façons d'être.

Cette réflexion se trouve de plus mise en abîme par le dispositif même du film : Azéma et Arditi constituant l'ensemble du casting (pour neuf personnages) la preuve est faite par l'exemple. Un visage cache, pour le moins, cinq caractères différents.

Qu'ai-je proféré ? « De plus » ? Disons plutôt « Ou bien ».

Ou bien : Cette réflexion se trouve désamorcée par le dispositif même du film : des hommes et des femmes souhaitant parfois égoïstement que leur ami/ amie se transforme, pour ainsi le modeler à leur gré. Et des hommes et des femmes tentant tour à tour de changer, ou feignant d'y songer, en y parvenant assez rarement. A cet égard, Smoking met en scène de véritables transformations, quand No Smoking se veut, peut-être, éventuellement, qu'en sait-on, tout de même ou bien plus sombre. Les personnalités ne changent jamais vraiment, à l'exception du « cas » de Sylvie Bell, cet agaçant Resnais nous amenant à parler de « cas » quand on aimerait à parler d'êtres humains.

Revenons à Montaigne: son esprit est celui d'un cheval échappé, comme il aime à se décrire. Il reprend inlassablement son texte, ajoute corrections après corrections, digresse, affirme avoir cet héroïque droit, qu'on devrait selon Baudelaire et Eustache rajouter à la Constitution de notre beau pays, celui de se contredire. Il pond un texte qui pour assez ardu à lire, annonce l'esprit baroque. Resnais est doué d'un esprit plus méthodique. Pas de « cheval échappé », pas « d'allure poétique à sauts et à gambades », mais ce formalisme qui souvent me gêne chez lui. Les morceaux de vie, repris, interrompus, dépendent d'un schéma bien rigoureux. Pourtant, on y lit un jeu, à rapprocher des gambades de Montaigne, sur le changement et surtout l'impossibilité de se définir.

Si les dialogues Jaoui-Bacri sont hilarants, si le jeu de Sabine Azéma me fascine, j'aurais aimé peut-être moins de théâtralité dans la mise en scène, plus d'amateurisme et de fragilité. Moins de Resnais? Autant la théâtralité m'emporte chez ce génie de Demy, elle me froisse chez Resnais. Dans Smoking/ No S., elle s'enraye lentement, nous prouve que le mécanisme même du film est faussé, en témoignent les deux erreurs de construction dans No Smoking, et nous conduit séance tenante au cimetière.

Ou bien : la théâtralité, développée dans ces deux films dans le sens que j'apprécie le moins, c'est-à-dire un patchwork théâtre de Boulevard-Comédie Française, académisme, mimiques absurdes, yeux écarquillés, convient de fait au scénario et à ce jeu sur le jeu. Resnais se plaît de plus à un savant équilibre parodique, par l'entremise de fins de scènes soulignées par une musique insistante, évoquant ainsi la fin d'un bon mélo américain, ou d'un soap-opéra, la distinction étant parfois fine. Dans les brusques échappées vers la folie ou l'onirisme qui rythment le film, je vois des liens frappants à tisser avec Minnelli, fasciné lui aussi par le faux, l'artifice, et le rêve. Coucher de soleil à la Gigi ou à la Resnais, les deux cinéastes se refilent les mêmes toiles peintes.

Où l'on voit que Ou bien = Aussi.

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le 15 juil. 2012

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Hélice

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