Soi Cowboy
Soi Cowboy

Film de Thomas Clay (2011)

Très vite dans ce film, ceux qui ont vu Paradis : Amour de Seidl feront le rapprochement avec ce film qui traite du tourisme sexuel mais aussi de la domination économique dans les comportements humains.

Sur le ring en noir et blanc, il y a la non-vie, il y a ce qui n'est pas vraiment réel. Il y a, à ma droite, une jeune prostituée thaï enceinte qui perçoit l'opportunité de s'installer avec un occidental, histoire de passer une confortable convalescence dans une résidence sécurisée (d'où elle ne verra pas tellement l'intérêt de sortir, d'où aussi l'impression que son hôte la séquestre dans une prison sans qu'il n'ait à vraiment le faire) et l'opportunité de quitter les quartiers chauds (le quartier de Soi Cowboy est assez réputé pour ses trafics et a servi de décor pour des scènes de Bangkok Dangerous et Very Bad Trip 2). Elle ressemble encore à une enfant, à cause de ses activités passives, de ses goûts pour les jeux vidéo, pour la télé, pour les peluches et surtout pour le sommeil ; à cause aussi, de sa manière de se tenir, sa taille, sa manière de parler... et même ce qu'elle peut dire (la scène du "je veux faire pipi" devant l'ascenseur est logique pour une femme enceinte mais elle a une signification double). Elle a ses croyances. Elle n'aime pas cet occidental et ne se fait aucune illusion sur cette finalité. Elle simule le sommeil pour le fuir. L'auteur s'attachera surtout à ce qui est matériel et ce qui est matériel, c'est lui. Il y a donc, à ma gauche, le vainqueur poids lourd toute catégorie : le "farang", l'européen adipeux et célibataire. C'est un homme extrêmement gentil, serviable voire très peu affirmé. Lui, il voudrait la séduire. Offrir à une demoiselle un bracelet, c'est le salaire de l'amour.

Le sommeil joue un rôle prépondérant parce que le gros lard ne voudrait pas non plus passer pour un salaud. A la télé, on voit déjà des petites filles être battues, il ne faudrait pas qu'il puisse en arriver là... D'autant plus qu'il n'en a pas la capacité psychique... et physique (il est impuissant). Il est lent, attentiste. On dirait l'effet d'un rouleau compresseur. Alors, pour ne pas passer pour un salaud, disais-je, le sommeil joue un grand rôle : lui, il n'arrive pas à dormir parce qu'il voudrait un acte amoureux (du cul hormonal) sans pour autant la posséder ; elle, elle a besoin de beaucoup de sommeil. Elle est si belle quand elle dort, alors qu'il est si difficile d'avoir des anicroches pendant le quotidien. Ainsi, tout se passe, dans une torture sourde et matérielle, entre le grand méchant loup et le petit chaperon rouge, chacun dans ses intérêts propres.

Je tiens à évoquer deux plans spécifiques à ce film : le plan d'ouverture, dans la cuisine, et le plan de fermeture du récit en noir et blanc, au temple. Ces deux plans sont naturellement l'évocation du réalisateur. Le premier, dans la cuisine, glisse un zoom lent + travelling avant (très rouleau compresseur pour le coup) sur des éléments matériel de cuisine : assiettes, verres, plaques chauffantes, micro-onde, mobiliers. Le deuxième glisse sur des éléments du temple, puis de la forêt à proximité, puis du ciel. Le fait que ce plan semi-final se déroule au temple contribue à s'immiscer dans les croyances, à la fois financières et religieuses, de cette femme qui a pour objectif de se marier, d'avoir un statut social, un rang devant dieu et devant l'homme (la scène au restaurant est tout à fait représentative). De la matérialité, donc, jusqu'au ciel. On pourrait penser que le réalisateur reste évasif avec cette conclusion mais ce serait oublier toute la partie en couleur.

Sur le ring en couleur, il y a ce qui est réel. Il y a la vie. La vie, c'est quoi ? C'est des rapports. Des intérêts. Des enjeux. Des forces contraires. Des duels. C'est le proxénétisme par exemple. Le proxénète est un fils de paysan qui cherche à s'en sortir avec sa copine et avec ses menus larcins. Le proxénète, avec cette affaire de gros lard queutard européen judéo-chrétien, a perdu son gagne-pain. Il a perdu sa chérie. Il a perdu son enfant aussi. Et il est un poids dans cette affaire car il n'a pas d'argent. Il sera éliminé par son frère, autre proxénète en contact avec le milieu. La vie, c'est aller vers la mort lorsque la domination économique est si forte, c'est ainsi que je le traduis.

La scène finale retranscrit fidèlement l'idée que le spectateur se fait depuis le début, à savoir l'entente patriarcale et commerciale parfaite entre la demande (le gros lard) et l'offre (le tyran).

J'ai écrit cette critique car on peut se trouver désemparé suite à ce visionnage très lent et prosaïque. Mais ce film évoque toute les choses que j'ai pu dire ici, et pour cette raison, je compte bien gagner ceux qui l'ont déconsidéré dans un premier temps pour qu'ils envisagent ce film autrement.

***

QUELQUES PHOTOGRAPHIES

http://3.bp.blogspot.com/_PM1ZKIZPNOM/SihRS64hGNI/AAAAAAAAB2E/dKvbM2bnGUY/s1600-h/soi-cowboy-024-web.jpg

http://fr.web.img3.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/71/57/19/19712010.jpg

http://2.bp.blogspot.com/_PM1ZKIZPNOM/SihRSiWdu0I/AAAAAAAAB18/rcAj0XDcoKM/s1600-h/soi-cowboy-042-web.jpg

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/71/57/19/19712014.jpg

***

CULTURE

Le mot "proxénète" est emprunté au latin proxeneta ; « celui qui s'entremet pour un marché ; courtier ».

Créée

le 30 janv. 2014

Modifiée

le 30 janv. 2014

Critique lue 537 fois

3 j'aime

2 commentaires

Andy Capet

Écrit par

Critique lue 537 fois

3
2

D'autres avis sur Soi Cowboy

Du même critique

Into the Wild
Andy-Capet
2

Un connard de hippie blanc en liberté

Sur Into the Wild, je risque d'être méchant. Non, en fait, je vais être dur. Parce que j'assume totalement. C'est autant le film que ce qu'en font les admirateurs de ce film qui m'insupporte. Que...

le 27 janv. 2014

67 j'aime

71

Disneyland, mon vieux pays natal
Andy-Capet
7

Achète-moi un conte prêt à raconter

En tant qu'ancien travailleur de Disneyland, je ne suis jamais senti à ma place dans ce milieu. Tout ce que je voulais, c'était travailler en m'évadant. Ce fut le contraire. J'ai perdu mon innocence...

le 26 avr. 2013

60 j'aime

42

RoboCop
Andy-Capet
9

Leçon cinéphile adressée à tous les faux-culs prétentieux.

L'humour satirique et grotesque dans Robocop est une porte infectieuse pour laisser entrevoir autre chose que du pop corn pour petit garçon, une porte qui laisse un aperçu de cette société tyrannique...

le 10 déc. 2013

51 j'aime

38