Critique de Sonorama - 1984 : 37 ans plus tard
Mais on ne pouvait aujourd'hui avoir d'amour ou de plaisir pur. Aucune émotion n'était pure car elle était mêlée de peur et de haine. Leur embrassement avait été une bataille, leur jouissance une victoire. C'était un coup porté au Parti. C'était un acte politique.
Georges Orwell
D. B. signe ici un premier film audacieux, dans la lignée du grand chef d'œuvre de Georges Orwell. L'influence de ce texte magnifique se ressent dans chacun des plans, chacune des répliques : nous sommes entre rêve et réalité, projetés dans un univers dystopique qui nous échappe, mais dont nous ne peinons à ressentir la dimension anxiogène. Ici, pas de télécran, mais uniquement des voix, oppressantes, omniprésentes, omnipotentes : nous ne sommes pas en 1984, mais bien une quarantaine d'années après, en 2021, dans un monde ravagé par une pandémie, obligeant les personnages du films à se masquer, et à conserver une distanciation, triste mais nécessaire. Ainsi, voyons nous
une jeune demoiselle repartir avec un café grand-mère plutôt qu'avec un Jacques Tati des temps modernes qui aurait pu, dans un futur alternatif, être son compagnon de vie.
La prévention sanitaire l'emporte sur la simple humanité, un destin auquel le personnage du film ne peut visiblement pas échapper. Pas de place pour l'amour dans "Sonorama", mais uniquement pour la guerre, judicieusement symbolisée par cette bouteille de lait dont la blancheur est un clin d'oeil évident à la Maison Blanche et donc à la toute-puissance des États-unis et du soft power.
Ici, pas de Big Brother, mais des Big Datas, ou presque... à défaut de voir les vitrines d'Apple et les logos de Facebook, le cinéaste focalise son attention sur les nouvelles figures totalitaires de notre époque : David Immobilier, Kleenex, ou encore Carrefour. Toutes sont là, à épier le peuple, contrôlant ses désirs, ses besoins, ses faits et gestes. Nous avons l'impression d'être libre, mais cela ne relève que de l'illusion, car ou qu'on aille nous ne sommes pas à l'abri de cette dictature de la pensée, transformant chaque être humain en un consommateur tristement décérébré en manque de céréales au miel (superbe métaphore au passage - nous sommes comme des abeilles : nous nous croyons libres car nous pouvons voler mais nous ne rendons pas compte que notre ruche, la société toute entière, est contrôlée par des apiculteurs anonymes dont la bienveillance a disparue en même temps que l'humanité.
Bref, nous pourrions continuer à analyser ces quelques minutes pendant des heures entières, tant le geste de D. B. est riche et profond, pour ne pas dire visionnaire : une oeuvre éminemment politique dont nous imaginons déjà la postérité.
Notre seul regret cela dit, est l'absence de clin d’œil au cinéma de Baz Luhrmann, qui aurait été non seulement bienvenu, mais également d'une pertinence remarquable !
Pour finir cette critique comme il se doit, je ne peux que vous inviter a tenter l'expérience par vous même en découvrant ce film sans plus tarder. Certes, sa distribution se fait discrète et il n'est pas forcement facile de mettre la main sur cet objet filmique unique, donc pour les plus patients d'entre vous, je vous conseille d'attendre sa sortie Blue-Ray annoncée par Criterion !
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.
Créée
le 15 juin 2021
Critique lue 69 fois
1 commentaire