Soul
7.4
Soul

Long-métrage d'animation de Pete Docter et Kemp Powers (2020)

L’enthousiasme ne me manque pas pour parler en long et en large de Soul, dernier bébé de Pixar Animation Studio, bien qu’à la fin de cette très creuse année 2020 on doit subir une fois de plus un mauvais coup du sort avec le report d’un film, n’ayant pas été pensé pour une sortie direct sur nos petits écrans, sur une plateforme streaming. A croire que tout a été pensé en ce début de décennie pour que le coup du sort s’acharne envers et contre tout, que ça soit pour donner un prétexte supplémentaire pour cracher sur la politique de Disney (qui a beau avoir ses inconvénients mais est logique avec la pandémie mondiale actuelle), ou engraisser une famine dans les salles obscures qui dure depuis déjà trop longtemps.


Mais passé ce contexte malheureux, Soul est une énième étape importante pour Pixar. Avant tout parce que Pete Docter, désormais à la tête du studio, doit conforter sa position en tant que nouveau patron de la boîte. Et parce qu’après son retour en puissance avec la claque émotionnel de 2015 Vice-Versa en 2015, les plus attentifs et passionnés du monsieur étaient impatient de voir quelle direction prendrait le réalisateur après avoir abordé dernièrement la fin de vie d’un vieil homme rongé par les regrets dans Là-haut, ainsi que le passage à la maturité à travers l’intérieur de son cerveau dans Vice-Versa.


Soul ne fait pas durer l’attente longtemps et entame un prologue de 10 minutes déjà riches en sens (la lumière extérieure illuminant Joe au piano durant son cours scolaire, signe annonciatrice du ciel l’appelant à monter vers l’au-delà) et qui ira de manière direct mais non précipité à l’essentiel autour de Joe Gardner : un passionné de musique, et surtout de Jazz, qui en est venu à négliger les aspects simples de sa vie et les petites leçons qu’il y a à en tirer, voit en sa mort un obstacle qu’il se refuse totalement à accepter et considère la musique comme sa seule et unique vocation jusqu’à écarter tout autre forme de sujet et de plaisir.


Trouvant en 22, âme cynique et désabusée de la vie avant l’heure, un parfait opposé comme Pixar et Disney ont souvent tendance à le faire ces derniers temps tout en apportant une mécanique scénaristique et alchimique qui ne retombe jamais dans la redite. Puisqu’ici l’entraide est plus rapidement valorisée pour deux objectifs opposés et que le film aura l’intelligence d’amener un réel conflit et un réel vide chez chacun dans le dernier tiers.


Vice-Versa allait loin avec les sous-entendus visuels et la symbolique des couleurs, des formes et les métaphores ainsi qu’architecture des divers lieux que Joie et Tristesse exploraient. Avec Soul, Pete Docter ne déroge nullement à ce principe du sens de la couleur et sa représentation du Grand Avant/Qui suis-je maintenant avec ses formes arrondis rassurante et réconfortante, ses structures abstraites construisant la personnalité des âmes et surtout le fruit d’une variété visuelle extatique qui manquait à En Avant sorti en début d’année (malgré la grande sincérité de son récit). Comme peut le témoigner cette représentation évasive des formations quantique (qui s’appellent tous Michel en VF… d’accord, pourquoi pas ? 1001 pattes faisaient déjà un grand remaniement des voix y’a plus de 20 ans après tout) qui font à la fois crayonné 2D dans la forme mais avec une incrustation en synthèse qui s’épanouissent sans mal avec leur environnement.


Le bien-être qui ressort de cet environnement, ainsi que de ses deux lieux de pédagogie destiné à préparer les âmes pour la Terre (avec parfois une remarque jaune sur la nature de certaines âmes à en devenir) et surtout la pesanteur ressenti par les lieux, passent également beaucoup par la musique tout aussi apaisante et relevé du duo Atticus Ross/Trent Reznor. Le duo partenaire actuel de David Fincher est capable de proposer une véritable harmonie sonore avec les images dés qu’ils peuvent tirer pleinement profit de leurs instruments électroniques et ça n’a clairement pas loupé ici tant on se sent apaisé et serein à l’écoute de leurs morceaux.


Mais ils laissent le soin à Jon Batiste de rythmer, avec ses morceaux jazzy et très souvent envoûtant au piano, les deux derniers tiers du film qui prennent un cadre terrestre moyennement attendu quand on regarde sur quoi étaient basé la campagne marketing. Là encore, Pete Docter ne tombe jamais dans la facilité avec un humour tarte à la crème ou hystérique qui aurait pourtant été évident d’appliquer avec les âmes de Joe et 22 s’étant retrouvé dans le mauvais corps chacun. Au lieu de ça, le réalisateur développe et entretien pendant une bonne demi-heure la prise de conscience de 22 quant à l’opportunité d’une existence terrienne qu’il a toujours vu comme insignifiante et dénué d’intérêt en raison du destin commun de chacun de nous.


En plus d’être une très bonne source de rire (le débat avec Archimède sur le nom à attribuer à un Kébab, son euphorie gustative qu’aurait pas renié Food Wars… ou Ratatouille pour ceux à qui les animés ne parlent pas), 22 embrasse de plus en plus les émotions qu’un rien du quotidien peuvent déclencher au point d’en oublier également sa vision blasé et totalement déconnecté de la vie humaine. Sans en faire des pataquès et en restant elle-même (ou lui-même, cet âme n’a pas encore de sexe) mais en embrassant également le mode de pensée du corps qu’elle héberge :


celle qu’une vocation ou une passion est nécessaire pour apprécier la vie et y avoir le droit alors que les nombreux petits rien sous ses yeux procurant des plaisirs insignifiante en apparence sont une raison suffisante pour prouver qu’elle est prête à faire une expérience complète d’une vie humaine.


A l’inverse, Joe Gardner a un caractère tout aussi important à prendre au détail par son comportement totalement contraire à celle de 22 face aux normalités et petits plaisirs simple : son absence totale de ressenti et une indifférence qui est pourtant un trait caractéristique de base de 22. L’inversion de rôle fonctionne à merveille en raison, avec d’un côté l’expérience réelle de Joe qui associent ces banalités à l’insignifiance de son existence qu’il percevait encore de cette façon dans le théâtre de sa vie plus tôt


(avec un bleu mélancolique, sobre et disons le musical sur chaque étape décrivant le parcours de sa vie).


Tandis que 22 les découvre à son tour sur le terrain comme un stage en situation réelle (là ou le Grand Avant est très théorique sur les possibilités d’une vie en ce bas monde) mais il profite pleinement de l’instant au point d’être fasciné par un comportement contraire aux paroles d’une dite personne


(Conny et son talent au trombone)


.
Là ou Joe n’aura une épiphanie qu’au moment ou il pense s’être accomplit. Mais réalisant que cela lui laisse un vide, et réalise alors qu'il est erroné de considérer que la vie ne se résume qu’à ses passions et qu’ils font nos vocations, et non pas à ces petits rien en apparence insignifiante mais source de plaisir et de plénitude passagère qui contribuent à donner du sens à l’existence de chacun ici bas.


D’ailleurs ça n’est pas que pour le souvenir qu’il se retrouve avec chaque objet que 22 a conservé dans la journée puisque chacune d’elle le rapporte à l’un des 5 sens humain qu’a expérimenté l’âme : l’ouïe pour la musique, le goût pour la pizza et la sucette ainsi que le donut, le toucher pour la feuille de l’arbre, la vue pour son look représenté par la bobine de fil de couture ayant servi de base, et l’odorat pour la nourriture en général.


5 sens constitutif d’un être humain sur le plan physique, tandis que l’âme lui se rapproche bien plus du domaine spirituel. Deux choses avec lesquels Soul tente (et réussit selon moi) de nous connecter en montrant plus qu’une simple complémentarité entre Joe et 22 (sachant que tout deux ont maintenant cette expérience des 5 sens en eux). En voulant également apporter ce rappel important que quelque soit sa ou ses passions, cela ne constitue pas une fin en soit mais quelque chose qui nous construit et forge notre courte existence comme un événement aussi bref que la chute d’une feuille en été sous un beau soleil. Tout cela pendant un instant de réminiscence à tout ce qu’il considérait comme vide de sens dans sa vie lorsqu’il prend le temps de repenser à tout cela durant cette même scène qui prend de plus en plus de sens lorsqu’on la revoit. Une séquence quasiment muette, magnifiquement rythmée par une dynamique d’image et de musique qui dit absolument tout.


D’ailleurs en parlant de quartier (un peu plus haut), le ton musical comme l’animation diffèrent grandement avec la représentation lissé et réconfortant du Grand Avant et un New-York qui tranche entièrement. Éclairé de manière beaucoup plus vive, plus élégant et chaleureux dans ses lieux, avec une texture affiné et mise à jour, mais pas sans là encore réussir à trouver un alliage réussit entre les idées graphiques présenté dans le premier tiers et le cadre dans lequel le récit évolue, en témoigne la chasse de Terry s’accouplant beaucoup avec les formes et les lumières de la ville sans que ça ne paraisse suspect ou douteux. On ne le répétera jamais assez mais les animateurs de chez Pixar sont nettement en avance sur la concurrence dans l’art de lier esthétique et narration à leurs messages.


Mais il y a un manque à prendre en compte concernant les personnages secondaires qui, aussi sympathiques peuvent-ils être, restent assez cloisonné à des fonctions dans le récit et à des liens narratifs pour Joe et 22. Ce choix a du sens quant on comprend sur quoi le film a voulu se concentrer et dans son orientation, mais c’est regrettable que même la mère de Joe (qui partagent l’un des plus beaux échanges du film avec son fils) reste cloîtrée dans un rôle fonction. Alors qu’En Avant réussissait à aller au-dessus de ça avec les rôles secondaires, et à ne pas laisser la vedette qu’aux frères Ian et Barley Lightfoot.


La question du doublage français pourra aussi diviser à juste titre, la principale raison étant le choix du Star-Talent pour Joe Gardner : Omar Sy. Le souci ne vient pas de la performance, en fait j’aurais tendance à dire que l’ancien standardiste du SAV des Emissions met réellement du cœur dans sa performance et prend au sérieux l’évolution de son personnage, mais la personne derrière est si médiatisée et si facile à identifier qu’on ne réussit jamais à totalement oublier qui est derrière le micro là ou Jaimie Foxx passe crème et ou sa voix s’adapte plus facilement à son personnage. Alors que Camille Cotin réussit bien plus à se faire oublier derrière 22 pour en faire un personnage complet digne de ce à quoi Pete Docter et Kemp Powers ont pensé en l’écrivant. Quant à Ramzy Bédia, sa présence étant assez tertiaire, son jeu est plus anecdotique mais ça fait le boulot sans que ça ne soit trop intrusif. Même si, une fois encore, je pense qu’on n’a pas besoin de Star-Talent dans nos doublages français pour vendre les films de Pixar Animation Studio tant la réputation et renommée du studio a été faite depuis très longtemps.


Enfin, contrairement à ce que certains pourront penser, je doute fortement que Soul se limite pas qu’à un message limité au fait de profiter de son existence à fond. Je pense que limiter ce film à ça est une énorme erreur si on n’essai pas de comprendre et de saisir davantage tout ce que cela sous-entend et cherchent à nous dire :


comme l’ouverture au dialogue auprès de ses proches, la peur de vivre une expérience qu’on pourrait regretter ou de faire un choix qui définira une grande partie de son existence, le deuil familial et de son modèle d’inspiration, la place de la musique dans la culture de Joe et ce qu’il tente d’apporter par sa passion, rien que la vie de Joe et le goût pris à la vie avant l’heure de 22 devraient suffire à en dire long sur ce qu’implique le fait de profiter de sa vie.


Surtout avec un film qui se repose autant sur le langage de l’image plus que sur les mots direct, le propre même de Pixar lorsqu’ils parviennent à toucher la corde sensible du spectateur. Quand bien même Soul s’adresse plus au public adulte qu’au jeune public, je suis persuadé qu’il s’enrichira auprès des gens au fil des visionnages.


Soul est une superbe continuité et évolution à Vice-Versa quand on analyse de quoi relève chacun ces deux films dans son sujet. Si un premier visionnage ne m’a pas fait verser des larmes dans les deux cas, tout deux ont en commun d’aborder avec une finesse et une intelligence profonde notre existence que ça soit par le subconscient ou notre perception de notre vie. D’autant que tout deux, je pense, ont l’immense qualité de ne pas se consommer en un seul visionnage et d’être parmi les meilleurs films d’animation Pixar dans le sens ou la redécouverte du film et/ou même simplement de ses nombreuses scènes avec du recul nous permettent d’en comprendre davantage.
Et cela me conforte dans l’idée qu’on tient très certainement le meilleur film de l’année 2020 et que dans des circonstances meilleures, j’aurais chéri grandement une découverte devant le grand écran tant Soul le mérite au même titre qu’un Là-Haut, Le Monde de Némo, Coco ou encore En Avant en début d’année, et peut facilement prétendre au titre des plus beaux films du studio.

Créée

le 27 déc. 2020

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