Soul
7.4
Soul

Long-métrage d'animation de Pete Docter et Kemp Powers (2020)

Je ne viens pas décourager quiconque de voir ce film, il est visuellement très réussi, le personnage principal est attachant, à défaut du second, l’histoire sympathique et le rythme prenant. Vous passerez sans aucun doute, à mon instar, un très bon moment. Vous voyez, d’ailleurs, j’ai attribué un 7 à ce film, et de bon cœur, figurez-vous. Je le reverrais même avec plaisir si on m’y obligeait.

Ma première déception personnelle, c’est que ce film d’animation, qui dans ses premières minutes nous promettait du bon jazz, s’en détourne en fait rapidement. Soit, ce n’est pas si grave (même si ma déception est grande, je ne vous le cache pas) et le changement brutal de décor est somme toute, si ce n’est audacieux, parfaitement respectable.
Ce n’est pourtant pas ce que je reproche à Soul, ni la lourde mièvrerie de certaines répliques vues et revues, ni même la posture éternellement clichée et ô combien agaçante de la jeune âme blasée par l’existence — car s’il s’agit dans le film d’un être pas encore né, convenons que son attitude inexplicablement égoïste et sarcastique est celle d’absolument tous les ados compassés de Disney.

Disney, tenez, parlons-en, est une expérience totale au sens où il existe un monde Disney et des valeurs Disney et une esthétique Disney et que chaque film Disney est par conséquent tributaire de ce monde et de ces valeurs et de cette esthétique. Mais voilà, tout en Disney est irrémédiablement Disney et donc désespérément américain et là je dis stop. C’est déjà bien assez de dévorer, de s’approprier et de travestir tous les beaux folklores qui leur tombent sous la main — Mulan, La Petite Sirène, Vaiana, Kuzco, Coco et j’en passe —, et de donner à tout ça le plus insupportable des vernis américains, et d’en faire des objets où tout le monde parle américain, pense américain et rêve américain, tout ça donc n’est pas suffisant, ni plus que d’aller planter des drapeaux sur la Lune, ce qui est un fait encore plus absurde que le fait que des gens croient que nous n’y sommes jamais allés (enfin quand je dis nous, je parle des américains, mais ça se tient très bien ici puisque chez Disney nous sommes tous des américains) ; et puisque Disney a signé et persisté dans son incapacité à voir les autres cultures par un autre prisme que celui, déformé et démesuré, de sa propre culture, qui n’est même pas un reflet fidèle de la culture américaine mais enfin une espèce de synthèse glorifiée d’une identité fantasmée, disons que j’aurais pu voir venir le truc et qu’en effet il est difficile de même le concevoir autrement mais à vrai dire tout de même j’aurais aimé, pour cette fois, que Disney nous laisse au moins l’au-delà, ou à tout le moins qu’il lui laisse une chance d’exister au-delà de la culture américaine (see what I did there?). Mais non, vous vivez en Amérique, vous consommez l’Amérique, et vous irez crever en Amérique, et remarquez comme quand j’écris l'Amérique, tout de suite, je convoque l’image de l’Amérique de Disney, la seule vraie Amérique, si bien établie et si américaine qu’à elle seule, derrière son patriotique embonpoint culturel, elle fait oublier les onze autres pays qui constituent eux aussi l’Amérique. Vous imaginez, vous, dire l’Europe et parler d’un seul pays d’Europe ? (Remarquez, c’est possible si vous êtes américain car alors dispensé de connaissances géographiques élémentaires vous considérez l’Europe comme un pays et naturellement, lorsque vous dites l’Europe, cela va sans dire que, enfin bref).

Ainsi, nous voilà propulsés dans un monde d’après la vie qui est en fait avant la vie, mais peu importe, et qui, s’il propose un décor, reconnaissons-le, assez original, se contente finalement d’être american everything, et même — ce qui relève d’une agression pure et simple, en plus d’être gratuite —, insupportablement corporate american à coup de seminars, de soul-searching et d’office jokes. LinkedIn avant même de naître, c'est-à-dire l’enfer avant même d’avoir fait quoi que ce soit pour le mériter.

Le voilà, donc, amer, acerbe, mon grand reproche : parmi toutes les infinies possibilités que proposait un monde hors de notre monde, hors même de notre temps, un monde où la vie se décide ; parmi tout ça donc, Disney a choisi la seule vraie manière d’être selon Disney : ÊTRE AMÉRICAIN.

Amen.

blkss
7
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le 2 mai 2023

Critique lue 93 fois

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blkss

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