Pourquoi Sous le Soleil de Satan, au-delà d’être une excellente adaptation du roman de même nom signé Georges Bernanos, est-il un excellent film ? Parce qu’il réussit à non seulement faire sentir le mal qui se diffuse lentement, mais surtout à rendre palpable et concrète sa présence par l’absence qui organise l’espace, par le silence qui définit les échanges, par l’incertitude qui gouverne les cœurs, constamment sur le point de vaciller.
Le long métrage de Maurice Pialat saisit les trébuchements de ses personnages par une forme froide et figée dans un académisme recherché, traduction par l’image de l’ascétisme et le rigorisme alors en règle. Les pièces sont dépouillées, les intérieurs sont vides, les champs sont labourés, s’étendant à perte de vue mais écrasés sous des nappes de brouillard inquiétantes. Le mal couve là-dessous, là-dedans. Un homme surgit, propose son aide, corrompt. Il a pourtant le visage de monsieur tout le monde. Ne pas s’y fier. L’habit ne fait pas le moine. Et le religieux, en luttant contre Satan, en s’efforçant de croire en un Dieu qui n’est pas là, erre dans les lieux privés de vie et de lumière tel ce moine à la mer peint par Caspar David Friedrich. Nous marchons constamment vers l’inconnu, l’indéterminé, sans savoir si Donissan agit sous le joug d’une illumination transcendante ou, au contraire, de ses pulsions les plus obscures.
Le film cultive la noirceur et les zones d’ombre : pourquoi Mouchette, une adolescente nous dit-on, a-t-elle l’apparence d’une femme adulte ? pourquoi le coup de feu ? comment expliquer la guérison de l’enfant ? la mort enfin ? Les questions sont soulevées, mais aucune réponse ne vient les clore. Sous le Soleil de Satan est une œuvre fascinante justement parce qu’elle refuse d’expliquer, de se justifier. Son mystère est puissant, son opacité envoûtante. Et ses acteurs, immenses, Gérard Depardieu en tête.