"Le mauvais choix"
Grand film avorté Bon film français des années 30 à découvrir dès que possible, s'il est sorti en DVD. Injustement "oublié" ou mésestimé. Franchement, j'ai été, à la fois, très agréablement surpris...
le 19 oct. 2015
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(Boutures de remarques parsemées sans plan).
__ Vu Cinéma de Minuit où le trésor national Patrick Brion m'éclaire sur tant de films en introduisant celui-là par ces mots:
"(...) adapté du livre de Joseph Conrad paru en 1911,
(...) une nouvelle fois, le cinéma Français choisit encore comme décor l'Europe centrale.
Il est produit par André Daven qui, après avoir été acteur pour Marcel L'Herbier et Louis Delluc,
est devenu le producteur
de 'Gribouille' avec Raimu et Michèle Morgan,
d' 'Orage' avec Charles Boyer et Michèle Morgan (aussi de Marc Allégret),
et de Liliom de Fritz Lang avec Charles Boyer et Madeleine Ozeray...
sans oublier naturellement 'Marianne de ma jeunesse', le très beau film de Julien Duvivier"
(Il ajoute) "Rappelons qu'André Daven avait monté en 1925 'La Revue nègre', avec Joséphine Baker"
______L'histoire, même si différente, m'a rappelé ma lecture d' 'Agent Zig Zag', le bestseller de Ben Macintyre.
__ Résumé: un étudiant trouve un assassin chez lui
et le dénonce par inadvertance en lui cherchant de l'aide.
Manipulé par la police, il doit infiltrer les proches du meurtrier.
Mais est torturé entre la culpabilité, la peur, la docilité envers les autorités légales et le désir de se dénoncer et avouer à tous.
Un film découvert grâce à Patrick Brion et notre bon Cinéma de minuit de retour sur France 3 mais les vendredis.
J'ai repensé à lui et ses personnages plusieurs fois dans la semaine suivant mon premier visionnage.
Au point que je regrette totalement de l'avoir déjà effacé de ma box car je voudrais le revoir plus tard.
Je n'avais pas percuté qu'il sédimenterait comme ça dans ma grotte et qu'une stalactite d'envie se formerait dans ma caboche assez vide. Tête vide assez prône à une très lente compréhension au goutte à goutte.
Le film a bien plus de sujets que je ne le pensais et les actualités contemporaines ne cessent de me le ramener à la mémoire.
Film de 1936 mais tellement encore pertinent.
Pierre Fresnay (habité, intense, sincère, crédible) est torturé par un choix Cornélien.
Il est promis à un avenir brillant mais devrait payer ce bien être égoïste par la trahison d'un ancien ami qui l'admirait pour son éthique.
Orphelin, il a alors dû bosser très dur pour enfin faire des études, et finir diplômé un peu plus tard que ses camarades comme lui fait remarquer son directeur/mentor admiratif.
Ses camarades de classe sont très méritants aussi, mais plus nantis et aidés (sans qu'ils s'en rendent sans doute tous compte): car eux ont été financés par papa et maman.
Les parents: ces minis États-providence qui subventionnent tout leur début de vie.
Mini États-providence, mais souvent vite oubliés par ces même enfants devenus adultes, une fois qu'ils travaillent enfin et baisent un peu.
Et après quelques années de feuilles de salaire, parfois en position d'autorité, ils pensent s'être "faits tout seuls" et deviennent souvent de droite dure et "méritocrates" contre "l'assistanat" (sic) et autres aides sociales et subventions aux autres. Oubliant qu'ils ont souvent été biberonnés jusqu'à leur entrée dans la vie salariale, souvent comme managers.
Le tuteurage de ces grosses légumes continuant même souvent après maturation.
Bref, on rencontre Pierre Fresnay le jour où il vient d'être diplômé avec beaucoup de mérite.
Quand soudain, un de ses anciens camarades qui l'admirait (exalté bouleversant Jean-Louis Barrault), vient se cacher chez lui et lui confier qu'il a assassiné un homme.
Le dénoncer ou l'aider: c'est un cas de conscience pour le personnage de Fresnay.
Le film est pimenté de beaucoup d'idées visuelles: l'utilisation d'espaces vides comme certains compositeurs utiliseraient le silence.
L'utilisation d'un miroir lors d'une tentative de suicide, comme si le personnage tentait de tuer son double.
Les auteurs utilisent aussi habilement un autre art: la photo. Notamment pour une scène dans un réfectoire où l'oeil n'est pas dans la tombe mais sur le mur.
Le visage de Barrault est en géant au mur; il regarde celui de Fresnay au dessous de lui en train de tenter de manger mais la culpabilité lui serre la gorge.
La conscience et vérité faites photo!
La pression sur ses épaules de ce regard est augmentée par celle de tous les regards qui se tournent vers lui quand Michel Simon, en mode mineur, le présente à tous comme un héros.
A tous mais à tort.
Agent double par coercition:
Pierre Fresnay sert de chèvre humaine pour attirer et repérer des "ennemis" (sic) et les débusquer.
C'est une marionnette, Pinochio menteur , manipulée par un personnage tellement contemporain.
Jacques Copeau, mieleux et fourbe à souhait, a ici une vraie tête de guru jouant aux échecs mais avec des pièces de chair, personnes humaines.
Une vraie tête de prédateur tordu exploitant les faiblesses et peurs d'individus.
"Vous lui rapportez cette bague" et la fiancée du mort vous aimera et parlera.
...l'arnaque par un geste de bon samaritain.
Après la bague, une montre joue un rôle clé. Des objets, au côté d'hommes objets:
La montre cassée est aussi une bonne idée: le temps d'avant s'arrête pour le personnage.
Il va être prisonnier de ce moment où il a pris ou pas une décision.
Il y aura un avant et un après, célébré, marqué à vie par cette montre cassée à l'heure du crime.
Le propriétaire de la montre va rester enfermé dans cette enfer, moment sans fin qui va s'étirer jusqu'à sa libération.
Le vide utilisé comme le silence, plein d'informations:
Une autre des mes scènes favorites est le retour dans l'appartement vide.
Là où a dormi une seule nuit le réfugié.
Le lit est vide mais est encore marqué par son occupant: notre cinéma intérieur devine et visualise l'homme invisible. Les coussins sont enfoncés.
Son sauveur mais que d'une nuit, regarde aussi l'espace à côté de la chaudière où il l'a vu pour la dernière fois.
Tous ces espaces totalement vides se révèlent pleins, et nous finissons de voir aussi le condamné.
C'est une très bonne idée visuelle qu'un espace vide se remplisse de la mauvaise conscience et la culpabilité du donneur qui a eu peur.
Cet agent infiltré m'a rappelé les récents agents infiltrés parmi des écolos en Angleterre où certains espions se sont même mariés à des activistes ciblés!
Ce film de 1936 rappelle aussi Les Patriotes d'Eric Rochant de 1994 mais où Yvan Attal ne serait pas volontaire pour l'apprentissage d'espion mais forcé.
Fresnay est ma-gis-tral en petite âme torturée: libérée par un assassinat,
mais le sien.Pas un assassinant qu'il aurait commis.
Libéré par Nikita.
Nikita est aussi un beau personnage, un autre beau personnage.
Homme de main et tueur qui me rappela le film de Luc Besson.
Mais son acteur, pourtant peu à l'écran, Gabriel Gabrio est mémorable, car lui aussi est trahi, déçu, partagé.
Sauf que son dilemme Cornélien ne dure pas aussi longtemps que l'étudiant infecté par l'éthique et la culpabilité, notre Nikita agit...pour la plus grande satisfaction de celui qui s'était lui bien plus posé de questions.
Le regard et la déception de Gabriel Gabrio sont tellement émouvants et d'actualité: il a mis ses espoir et admiration dans des gurus factices.
Nikita a été la victime de prédateurs de sa précarité lui promettant monts et merveilles...
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Créée
le 13 oct. 2021
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