Parmi les nombreux films d'auteur se voulant "à message" sortant chaque année dans nos salles, comment différencier les oeuvres essentielles, nous aidant à mieux appréhender le monde qui nous entoure, tout en ayant une véritable ambition cinématographique les éloignant du tout venant aux allures de téléfilm pour soirée débat sur France 2, à leurs avatars tous conçus dans le même moule, incapables de dire quoi que ce soit ? A priori, "Soy nero" avait tout pour appartenir à la prestigieuse première catégorie ! Car si le sujet de l'immigration clandestine a été traité à maintes reprises, que ce soit aux Etats Unis, ou en France, l'option choisie par le réalisateur Rafi Pitts paraît plus intéressante !
Nous suivons le parcours d'un jeune homme de 19 ans, ayant grandi aux Etats Unis, puis déporté au Mexique, espérant rejoindre Los Angeles, là où vit son frère ! Si ce dernier vit dans l'illégalité, Nero compte obtenir sa green card en s'engageant dans l'armée ! Sujet passionnant, pointant du doigt les nombreuses aberrations d'une nation s'autoproclamant "la Grande Amérique, là où tout est possible", envoyant au casse pipe des jeunes gens prêts à tout dans l'hypothétique espoir d'un avenir meilleur ! Si au début du film, l'on est prêt à suivre jusqu'au bout ce personnage forcément attachant dans ses rêves, petit à petit, on retombe dans les clichés du film "auteuriste" pour festivals prestigieux, semblant tout faire pour tenir le spectateur à distance de l'action ! Si je n'ai rien contre les films lents, aux plans étirés savamment composés, il est des films pour lesquels une narration plus directe semble plus appropriée !
Car, plus le film avance, plus le réalisateur semble vouloir plonger le spectateur dans la torpeur, au lieu de le révolter ou lui faire ressentir une quelconque émotion ! C'est ainsi que le personnage principal, pour lequel l'on devrait éprouver la plus grande empathie, ressemble plus à un fantôme qu'à un personnage de chair et de sang ! Si certaines scènes fonctionnent bien, comme l'arrivée du jeune homme aux Etats Unis, où il se fait prendre en stop par un homme avec sa fille, scène étirée dont les dialogues intelligents et lourds de sens réussissent à dire beaucoup de choses, sans en faire trop dans le discours moralisateur bien pensant, le film devient par la suite beaucoup plus pesant, une fois lancé dans sa partie "guerre", et vidé de son sens premier !
Si, malgré son rythme un rien trop languissant, le film pouvait paraître intéressant jusque là, on tombe à ce moment dans la contemplation aride et, pour tout dire, décourageante ! Et pourtant, on sent une envie de créer de purs instants de sidération, les personnages se retrouvant écrasés par le paysage, comme des silhouettes englouties par la nature, à la merci d'ennemis invisibles semblant pouvoir surgir à tout instant ! Mais Rafi Pitts n'est pas Bruno Dumont ! Si l'envie est là, le talent pictural n'est pas le même, et le spectateur se retrouve vite étouffé par le rythme particulièrement lent et le manque de sens ! Car l'absence de contextualisation de l'action pose un véritable problème ! Le montage propulse brutalement, par une ellipse, le personnage dans une zone de guerre, sans jamais que le véritable propos n'apparaisse clair ! On se retrouve donc à subir le film, les scènes s'enchaînant laborieusement sans que la violence de ce qui s'y passe n'impacte le spectateur à un quelconque moment ! Et ce jusqu'à une fin particulièrement abrupte qui achève de rendre le film agaçant, parfait petit prototype du film qu'une certaine critique se sent obligée de défendre, de par la noblesse de son point de départ ! En guise d'explication, on doit se contenter d'un carton final explicatif, qui ne laisse que peu de place à l'ambiguïté concernant l'avenir du personnage !
Si cette fin pour le moins amère peut laisser sur une impression d'efficacité concernant le message du film, on peut douter de son impact durable, de par ses choix de narration et de mise en scène empêchant d'être réellement emportés ! L'impression d'être passé à côté d'un grand film de cinéma a de quoi laisser frustré !