Into the Spider-Verse avait déjà placé la barre très haute en 2018, donnant tout son sens au terme comic book movie. L'affranchissement des carcans habituels de l'animation lui avait permis d'offrir à son audience un spectacle complet, inédit, reprenant les codes du neuvième art pour transcender la figure du super-héros dans un film visuellement riche. C'était aussi une première incursion du tout venant dans la thématique du multivers, astucieusement traité, et diablement drôle. L'œuvre fut un tel succès commercial et critique qu'elle fit bien des émules, Hollywood s'engouffrant dans la brèche des univers alternatifs, pour le meilleur (Everything, Everywhere, All at Once) comme pour le pire (No Way Home), et son style graphique faisant réaliser qu'il était possible de tenter autre chose (on pensera à la superbe série Arcane, ou dans une moindre mesure à The Mitchells vs the Machines). Avec une telle réussite, la mise en chantier d'une suite était inéluctable. Et autant dire que les attentes étaient grandes, qu'il était compliqué de s'imaginer comment dépasser l'original.


Puis arriva Across the Spider-Verse. Le trio de réalisateurs du premier volet, tous novices derrière la caméra à l'exception de l'un d'entre eux ayant réalisé Les Cinq Légendes pour Dreamworks, est remplacé par une nouvelle équipe. Parmi eux on a Kemp Powers, réalisateur de Soul chez Pixar, et Joaquim Dos Santos, réalisateur de quelques DTV d'animation DC, et producteur de The Legend of Korra. Une relative inexpérience donc, et pourtant...


Mais dès la scène d'introduction, nous plaçant dans l'univers de Spider-Gwen, on se prend une claque. Le style graphique est différent de ce que l'on avait pu voir auparavant, mais toujours aussi fluide. Le monde de Gwen prend les couleurs de ses émotions, dans des aplats vifs, où les traits du décor sont diffus. Puis arrive l'encart titre, et l'on repasse dans l'univers de Miles, où l'on retrouve le style comics du premier épisode. Puis l'on passe dans un univers, puis dans un autre, et un autre encore, et à chaque traversée, une variation marquée, originale et exploitée à fond. L'esthétique claque, se renouvelle sans cesse, tout en restant cohérente avec ce qui nous est raconté. On en vient très vite à trépigner d'impatience de découvrir la prochaine trouvaille, les prochains tableaux magnifiques (ce dialogue sur fond de Manhattan inversé, wahou!), et la prochaine scène d'action fourmillant de détails mais restant d'une clarté limpide.


Mais Across the Spider-Verse ne se contente pas d'être visuellement époustouflant, il est aussi fourni d'une histoire touchante, avec des personnages creusés et crédibles, et des enjeux prenant et loin d'être manichéens. Car si la figure de Spider-Man a toujours été confrontée à son destin, aux responsabilités qui viennent avec son costume, jamais cela n'aura été aussi bien retranscrit qu'ici. Notre héros lutte littéralement avec lui-même pour déterminer la marche à suivre, déchiré entre son devoir et sa vie privée, à priori inconciliables. La multitude de personnages, comme autant de facettes de cette personnalité fracturée, tisse une psyché en quête d'équilibre. Le film propose également quelques surprises de l'ordre du fan-service, mais disséminées avec parcimonie, sans que l'on s'appesantisse dessus. Il est également bardé d'un humour qui fait mouche, car là aussi placé de façon juste. Mais le fait que ces deux derniers éléments soit savamment distillés à travers le métrage permet de maintenir la gravitas des enjeux, laissant le spectateur impliqué dans l'histoire, à l'inverse de ce que l'on ferait chez Disney par exemple, où toute tentative de moment iconique est immédiatement désamorcé par une boutade cynique. Non, décidément, les équipes de Sony Animation croient en ce qu'elles créent, tant sur le fond que sur la forme, et ça se ressent.


Le concept de multivers à trouver son mètre étalon, le film d'animation également, et le film de super-héros assurément. Et alors que les péripéties progressent, ce sont autant de portes qui s'ouvrent, de nœuds narratifs qui se découvrent. Lorsque la fin du métrage se fait pressentir, on se dit qu'il sera bien compliqué de prendre notre mal en patience pour la suite, prévue en 2024 et portée par le même trio gagnant.

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le 14 juin 2023

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Frakkazak

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