Je met rarement 10. La perfection n'existant que dans mes études théoriques et non dans la réalité. Je met rarement 10, car seule l'inter-subjectivité ou le pragmatisme absolu pourrait permettre de définir la perfection, si elle existait dans notre réalité et je ne suis qu'un simple mortel. C'est deux raisons de trop pour mettre des 10/10 selon ma grille de lecture.
Mais là j'ai mis 10; et à une oeuvre cinématographique de surcroît. Une oeuvre appartenant à un domaine que je connais trop peu pour jauger avec pertinence de la qualité de cet ouvrage sur son caractère constitutif. Alors pourquoi mettrais je 10? Péterais je plus haut que mes fesses? Serait ce la folie?
C'est bien possible mais alors "qu'est ce que la folie"? La folie est au génie, ce que le yang est au ying, et ce que le hasard est à la prédiction.
"Bon sang, une tempête s'est abattu sur mon village et la cru a détruit ma baraque! C'est quand même pas de chance!"
Si la personne en question parle de hasard (pas de chance!), c'est qu'elle n'a sans doute pas pris assez de recul vis à vis de la situation qu'elle juge. Par exemple, si elle avait pris le temps de se documenter sur le nom de son village "La Faute sur Mer", elle aurait pu affiner son analyse. L'étymologie du mot faute n'est pas sans rappeler le mot faille. Le fait que son bled est nommé ainsi depuis des lustres aurait pu sans doute lui faire comprendre que ce terrain n'était pas très "safe" (terme de jeu de combat utilisé pour désigner un coup très dangereux d'utilisation par la part de risque qu'il engendre si bloqué par l'adversaire).
"Bon sang, j'aurai du me documenter un peu avant d'acheter une baraque, construit sur un terrain acheté par des promoteurs immobilier sans scrupule pour vendre des maisons à bas prix sur un terrain à risque en cas d'évènement géologique ou climatique majeur".
Le hasard devient prédiction.
La folie devient génie. (Le joker de Dark Knight / Jack Sparrow de Pirates des Caraïbes)
Le yang devient ying.
Aucun de ces termes n'est utilisable pour qualifier une situation de manière factuelle. Elles ne sont que la résultante d'un jugement soumise à trois critères:
-la base de donnée personnelle acquise
-notre euristique personnelle de traitement de donnée
-l'angle d'approche et le recul vis à vis de la situation. La posture qu'on adopte pour évaluer l'objet/la situation.
Ce qui nous amène à Spinal Tap. C'est un film concept, qui cherche à peindre un portrait humoristique au travers d'un docu-fiction sur le groupe éponyme. Là où on commence à toucher au génie/folie, au ying/yang et au hasard/prédiction, c'est que le concept de ce film est corrompu par essence.
Les documentaires se caricaturent eux même à longueur de temps. Prenez n'importe quelle parodie de documentaire des inconnus, la plupart des choses qui nous font rire dans leur sketch ne sont qu'un copier/coller non dénaturé des codes utilisés par les documentaires. Ces codes ont été inventés pour faciliter la communication mais n'en reste pas moins diantrement caricaturaux par essence.
La chose qui confère le statut de satire aux sketchs des inconnus sur "les chasseurs" ou encore "les flics" c'est que l'objet traité n'est pas caricaturale (la police , les chasseurs sont des êtres humains que les inconnus vont parodier). Ce n'est pas le cas de Spinal Tap qui "s'attaque" à la culture Rock/Metal.
Les groupes de rock se caricaturent eux même à longueur de temps, notamment pendant la période "70's- early 90's". Ce sont des individus excentriques. Ce sont des marques. Ce sont des idoles. Ce sont des artistes. Toute la "folie" qui englobe ces entités est aussi ce qui font leur identité (leur caractère constitutif), leur réalité. C'est aussi un outil de communication formidable (car pour gagner le statut d'idole, il faut d'abord être connu des gens n'est ce pas!).
Spinal Tap 1984 a beaucoup de mal à se positionner en tant que parodie de groupe de rock, ou en tant que parodie de documentaire vis à vis du recul que j'ai par rapport à cette oeuvre, et à mon amour de la scène rock métal.
Ce film n'est pas plus parodique que la presse rock, n'est pas plus parodique que la scène rock, et n'est pas plus parodique qu'un documentaire. Le trait est à peine forcé que ce soit dans le ton, la réalisation, le type d'anecdote et même les couvertures des "faux albums/single".
Et concernant la musique me direz vous? Les morceaux de Spinal Tap créé à but "parodique" sont tellement efficaces que le groupe a fait une tournée; et ce n'est en aucun cas comparable à "Sebastien Patoche".
Les morceaux de Spinal Tap sont tellement clichés dans leur codes et leur composition (riffs efficaces, travers progressif nanardesque "Jazz Odyssey!", paroles vulgaires et/ou connoté sexuellement et/ou rebelle à 2 balles, chorus aussi caricaturale qu'annoncé ou attendu, solo dégénéré etc) mais tellement soignés qu'ils en deviennent "justes". (Ce qui n'est pas le cas des parodies des inconnus sur la mano negra, les rapeurs ou sur les hard rockers par exemple).
Prenez ce morceau d'Accept (1981) "Son of a Bitch"
http://www.youtube.com/watch?v=rWk5wr1p3mk
Prenez ce morceau de Mr Big (1989?) "Addicted to that Rush"
https://www.youtube.com/watch?v=Ck3MuHqYRLM
Prenez ce morceau de Symphony X (2011) "Bastards of the Machine"
http://www.youtube.com/watch?v=C7oIlIryhas
Si vous arrivez à voir au delà de la technique pour les morceaux, et au delà de la parodie pour l'artistique. C'est du Spinal Tap de A à Z et je suis sérieux:
parole faussement vulgaire et/ou rebelle et/ou connoté sexuellement, construction ultra archétypé, riffs efficaces et identitaire au genre/groupe, refrain "Lego System" (lyrics/compo musicale), chorus attendu voir delayé gratuitement, et la surenchère d'effet "spectaculairement gratuit" à la guitare. C'est pourtant tous ces codes appliqués au millimètre par ces artistes (l'art sublimant la technique) qui font que ces morceaux sont à la fois efficaces sur le plan "com'" et identitaires sur le plan artistique!
Je ne vois pas ce qui les différencie de "Big Bottom" ou encore "Bitch School" extrait de la BO du film par exemple. (Et je suis sérieux!)
Conclusion:
Spinal Tap est tellement précis et pointu dans sa satire qu'il en devient juste (ying/yang). Ce n'est que la posture que vous prendrez par rapport au film qui orientera votre jugement, et non le film lui même. Ce film ne se moque pas de la culture Rock/Metal, c'est une déclaration d'amour que je trouve aussi sincère que juste.
Spinal Tap est un oxymore cinématographique. Une bassine d'eau tiède.
10/10
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