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A travers la sordide affaire de la prison d'Abu Ghraib, Morris souligne un monde militaire en déclin, pourri en son sein par quelques éléments perturbateurs, un corps officier fourbe et manipulateur et une jeunesse sacrifiée en guise de bouc émissaire. Fidèle à son style, Morris laisse la parole aux acteurs même de l'histoire, ceux qui ont pris ou posé sur les photos. Si on n'échappe pas dans un premier temps au cri de rage des protagonistes (« c'est pas moi c'est lui » ou « c'était un ordre, on ne pouvait rien faire »), Morris n'en fait pas moins un plaidoyer en leur faveur : comme dans Thin Blue Line, il ne les juge pas mais veut juste connaître, ou du moins approcher la vérité. Sans imposer son point de vue mais justement en mettant en avant celui des interviewés, il dénonce les dérives d'une guerre absurde que l'Amérique a perdu d'entrée de jeu, et le contrecoup médiatique d'Abu Ghraib n'a eu pour effet que de condamner aux yeux des Américains même le conflit, ce qui en fait l'un des films engagés les plus percutants sur la guerre en Irak. Au-delà de ça, Morris évoque la difficulté de l'image, et par-là même la difficulté du documentaire, d'être claire pour elle-même : il faut pouvoir la recontextualiser et en vérifier la véracité (le recadrage fausse tout) avant de l'offrir au public, sous peine de créer un faux discours (ici, en l'occurrence, le fait que toutes les jeunes recrues ont été condamnées mais personne dans la hiérarchie supérieure n'a été inquiété). Pour preuve : si le film ne propose qu'un point de vue, celui des Américains (ce qui pourrait offrir des critiques virulentes), c'est parce que le cinéaste et son équipe n'ont jamais pu retrouver au bout d'un an les prisonniers irakiens relâchés.