"Prise de risques"

J'avais trouvé "Le Réveil de la force" décevant dans son manque d'ambitions et d'inspiration (reprendre toute la trame de l'épisode IV, fallait oser), mais je m'étais quand même fait une raison. Je me disais "Mouais, bon, ils ont un peu abusé mais ils ont encore deux films pour développer leur univers, contextualiser l'action, rentrer dans le psyché des personnages...".
Du coup, quand les premiers retours sur cet épisode VIII faisaient état de véritables prises de risques scénaristiques, j'étais joie, d'autant plus que j'avais bien aimé le travail de Rian Johnson sur "Looper" et que les trailers étaient assez alléchants.
Et tu parles de "prise de risques"...

Mettons-nous d'accord. Commencer une nouvelle étape d'une saga avec un parti pris fort, ça c'est de la prise de risque. Pour prendre l'exemple de la prélogie, il y avait ce choix d'introduire toute une dimension politique qui, si basique qu'elle soit, apportait un véritable cachet aux films et étendait l'univers Star Wars d'une bien belle manière.
Voilà, et là, on arrive au cas de "Les Derniers Jedi". Non, parce que introduire de l'humour poussif et forcé façon Marvel, "désacraliser" les idoles (Luke, le grand méchant...), désamorcer toutes les tensions dramatiques, après avoir pondu un "Réveil de la force" complètement premier degré dans son délire épique et grandiloquent, j'appelle pas ça "prise de risque". J'appelle ça "ne pas savoir tenir un cap", ou encore "s'adapter aux attentes du public".
Après avoir essayé de nous faire chialer sur la mort de Han Solo, essayez pas de nous vendre Kylo Ren et Rey qui font un skype par la force, avec des répliques d'aussi haute volée que "Oh, t'aurais pu t'habiller, quand même !"
La Warner a tenté le même délire avec "Justice League" et c'était une daube. Quand est-ce que les gros studios comprendront qu'introduire de l'humour de happy meal au forceps dans des sagas comme Star Wars, ça ne marche juste pas ?
Et attention, la saga a toujours été remplie d'humour. On se souvient des dialogues délicieux entre Han et Leïa dans la trilogie, ou même de certaines répliques d'Obi-Wan dans la prélogie. Mais c'était situationnel, cohérent avec l'action. Là, c'est limite si on entend pas le vieux vinyle déraper quand Luke chatouille la main de Rey avec une plante...

Bref, au delà de tout ce malaise qui réduit les acteurs au rang de muppets dont le destin m'intéresse autant que l'intégral de Marc Lévy, c'est pas non plus ça sur la forme.
Alors oui, Rian Johnson sait faire des belles images, tourner des batailles spatiales épiques, et couper tout le son quand il faut que le public se prenne une grosse claque dans la gueule.
Mais il sait pas rythmer un film. Tout est rushé, balancé en mode "c'est parce que c'est magique", quitte à nous laisser avec des plot-holes et des incohérences incroyables. Même le montage n'a pas de sens. Par exemple, on se doute que l'aventure de Rey sur l'île de Luke dure plusieurs jours, mais les cuts sont faits de telle manière qu'on à l'impression qu'elle arrive le matin, qu'elle le stalke l'aprem, et qu'elle s'entraîne dès le lendemain.
Ce film n'a pas de respiration, le spectateur n'a rien le temps d'encaisser. Même des scènes qui pourraient être très classes, stylisées (notamment une liée à Leïa et...à l'espace) deviennent ridicule tant tout est précipité.
Les dialogues sont mauvais, rebattus, répétés ad nauseam ("Je suis envoyé par la rébell...euh, la résistance ! On a besoin des jedi !"), ce qui n'aide pas franchement à s'impliquer dans le truc.
Les situations ne sont pas crédibles une seule seconde et reposent à chaque fois sur la débilité des personnages (En essayant de spoiler le moins possible, il y a un conflit au sein de la flotte de résistance impliquant le personnage de Poe qui aurait pu être évité tout bêtement)
Tout l'arc impliquant Finn, un personnage féminin secondaire, et Benicio del Toro, est également totalement vain.

Et vous voulez savoir le plus drôle ? Ca dure 2h30.
Quand ils se rendent compte que l'intrigue a pas bougé d'un iota entre les vaisseaux rebelles qui s'enfuient depuis une éternité et la petite Rey qui s'entraîne sur son île, les scénaristes décident de tout rusher mais c'est trop tard les gars, y a plus personne.

Alors oui, il y a quelques scènes fortes (souvent liées aux batailles spatiales), oui le rouge c'est très joli, oui quelques idées, même mal exploitées, partent d'un bon fond.
Et puis là, soudainement, le fantôme de Yoda en CGI, moins agréable à regarder qu'un grand brûlé sur son lit d'hôpital, a le pouvoir de faire tomber la foudre, comme ça, pour rire.

Non, franchement, je pense que rien n'avait aussi mal porté l'appellation de "renouveau" depuis le dernier remaniement ministériel.
Sauf que là, il s'agit d'une saga que j'aime d'amour...et c'est pas facile à encaisser.