Il n’est pas innocent que ce nouvel opus de la saga Star Wars tourne à ce point autour de la thématique de l’échec : les erreurs passées, la persistance dans une voie ou le choix d’un revirement, le poids de l’héritage et la nécessité d’une tabula rasa : le récit est miné de démons intérieurs, qui sont tantôt des élans, tantôt des ornières.
Curieusement, les principales – et nombreuses - lourdeurs de cet épisode ne sont pas la conséquence d’un excès d’ambition. A bien y réfléchir, l’intrigue est assez minimale, et la longueur (2h30, soit l’épisode le plus long de la franchise) assez peu légitime. Certains y verront un parallèle évident avec L’Empire contre-attaque : place à l’initiation et au discours de sagesse, Skywalker passant de disciple à maître. Mais c’est surtout dans l’immobilisme de certaines situations que la dynamique s’embourbe : cette redite constante dans la traque et la façon dont on accule la rébellion, ces petites excursions un peu vaines sur une planète casino qui ne parviennent pas à insuffler assez de rythme, cette gestion laborieuse des récits en alternance, pourtant une des grandes caractéristiques de la saga.
L’esprit bienvenu d’une certaine modestie numérique héritée du Réveil de la Force persiste avec bonheur, mais semble ainsi contaminer les figures, les arcs narratifs et les personnages. Pendant deux bons tiers du film, rien n’émerge véritablement : on croit bon de conserver des mystères, on propose de nouveaux personnages dénués d’épaisseur, et l’on nous ressert des poncifs un peu fades : la prison, l’expert à déloger, l’élément technique à maîtriser pour sauver tout le monde…Même les batailles spatiales, pourtant dynamiques et bien menées, semblent une répétition en mode automatique de tout ce qui a déjà été fait auparavant. C’est la difficile posture du deuxième épisode, qui ne bénéficie plus de la fraîcheur de l’exposition du premier, et se doit de préparer avec ampleur le final à venir.
Pourtant, de menus indices disséminés dès le départ laissent entrevoir quelques inspirations. Car si les figures tutélaires sont minées par le fardeau d’un passé sous le sceau de l’échec, la jeune garde laisse flotter un délicat parfum de sédition contre les figures de pouvoir, et des deux camps.
Ce n’est sans doute pas un hasard si l’intrigue majeure se concentre autour de deux vaisseaux amiraux, trop lourd pour pouvoir suffisamment manœuvrer, à court d’agilité ou de carburant. C’est dans les mouvements annexes que tout se joue, les écarts, les pas de côtés et les ratés. D’abord, par un humour qui frôle l’insolence, et qui passe plutôt bien : la réaction de Skywalker face au geste iconique qui clôturait l’épisode VII, par exemple, ou l’apparition d’un vaisseau qui se révèle un fer à repasser : Rian Johnson s’amuse et fait sien un terrain de jeu qui avait tout du continent intimidant, en cassant certaines reliques et en moquant certains dogmes. Les Derniers Jedi, c’est du fan sevice : toutes les théories délirantes sont mise à mal, jusqu’aux révélations tant attendues des origines de Rey.
Le meilleur maître, c’est l’échec, assénera un des sages, questionnant la légende et laissant surtout entendre que pour mieux l’imprimer, il faut commencer par la brûler. Sans rien spoiler, reconnaissons que le rapport aux aînés est de ce point de vue salutaire, tout comme l’est le traitement réservé à la Force.
Et c’est aussi là que se joue l’atout du film : dans l’attente qu’il crée. Si elle est démesurée et que l’ensemble en pâtit indéniablement, force est de reconnaître qu’elle finit par se voir récompensée. Par un combat d’un graphisme assez rutilant avec une garde rapprochée qu’on croirait sortie d’un film de Kurosawa (voire de Jodorowsky), ce climax muet d'un vaisseau pourfendu, même si le ressort narratif rappelle un peu trop l'un des sommets de Rogue One, et, surtout, un final enfin digne de l’épique qu’on est en droit d’exiger de la saga.
Splendide idée que celle de ce sel balafré jusqu’au sang minéral, lors d’un siège qui revisite la grandeur du gouffre de Helm à la sauce SF. La ligne mécanique des assaillants, la gestion picturale des plans d’ensemble, le tout agrémenté d’un sens aigu du déséquilibre d’une masse face à un groupuscule permet au film de trouver l’ampleur qui lui faisait défaut.
C’est certes un peu tard ; mais cela laisse le spectateur avec de singulières étoiles dans les yeux. Si on leur ajoute les grandes interrogations quant aux ressorts du troisième épisode, il y a là de quoi trouver un nouvel espoir…
(6.5/10)