[Spoilers]


Dans cette critique, j'utilise quelques acronymes : SW (Star Wars), ANH (A New Hope), ESB (Empire Strikes Back), RotJ (Return of the Jedi), TFA (The Force Awakens) et bien sûr TLJ (The Last Jedi).


Je suis sorti du théâtre perplexe. Ca faisait des semaines que j'en parlais, de ce Star Wars. Des semaines que mes billets étaient prêts. Je n'avais regardé aucune bande annonce. Je suis arrivé avec mon popcorn, bref, j'avais envie d'aimer Star Wars: The Last Jedi.



La Marvelisation de Star Wars



Le soufflet est vite retombé. Dès les premières minutes, SW avait disparu. Le dialogue d'ouverture -- une discussion entre le pilote Poe Dameron et le Général Hux dans laquelle le pilote simule un problème téléphonique -- n'a pas l'humour discret et parfois sombre de la trilogie originale. Non, c'est plutôt des "quips" à la Avengers auquel on a droit, des "clins d'oeil" forcés, des moments "trop meugnon".


La première scène marquant le retour de Luke Skywalker voit celui-ci nonchalamment jeter son sabre laser derrière lui. Toute la tension qui montait depuis deux ans autour de cette scène qui aurait pu être magnifique, tout est retombé. Toute la salle éclate de rire, mais chacun se dit intérieurement : "C'est tout ?" Oui, c'est tout. La trilogie originale et TFA -- malgré leur humour indéniable -- savaient être des films sérieux. Là, l'humour "slapstick" fait irruption dans de nombreux moments qui devraient être sérieux y compris des scènes d'action.


Ces scènes d'action sont d'ailleurs souvent assez gratuites.



De l'action presque gratuite



Si je dis presque gratuite, c'est parce que celle-ci n'égale pas les niveaux d'extravagance de la prélogie -- avec ses combats et explosions à n'en plus finir -- mais ici, les scènes d'action sont souvent dans l'excès. Comme cette scène ou Luke Skywalker, maître Jedi âgé et plein de sagesse, évite un coup de sabre laser avec une esquive à la Matrix, filmée au ralenti. "See you around, kid." dit-il à son adversaire avant de disparaître du champ de bataille. Naruto n'aurait pas fait mieux.


Ce genre d'action va de pair avec une réalisation stylisée, qui jure beaucoup avec tout ce qu'à fait jusque-là SW (des plans fixes, larges, des travelings souples) Là, nous avons droit à ralentis, visions surréalistes (rèves, visions, flashbacks), plans tordus et hétérodoxes, shaky cam. Ca ne ressemble pas à du SW, car c'est excessif. SW ne se réalise pas comme on réalise un Tarantino.


De l'excès, on y a droit. Une séquence en particulier m'a marquée par ses excès. Kylo Ren, fils de Han Solo et Leia Skywalker, attaque le vaisseau Résistant flanqué de deux chasseurs. Prêt à dégommer la salle de contrôle ou se trouve sa mère, il hésite, avant que ses deux escortes ne finissent le boulot à sa place. Ce moment fort, choquant, poignant, est ensuite dépassé par une scène incompréhensible.


Leia Organa, flottant dans l'espace, gelée, inanimée, se ranime peu à peu. Elle ouvre les yeux, et vole vers son vaisseau, ou elle est récupérée et amenée à l'infirmerie. Sa mort, au côté de ses généraux et fidèles soldats, devant les yeux de son fils, aurait pû être un moment poignant. Mais non, Leia sait voler à la manière de Superman, apparemment. Personne n'en a parlé de tout le film, pas un seul commentaire des personnages autour d'elle.


C'est d'autant plus bête que la mort du personnage n'est que retardée. En effet, l'actrice étant décédée après le tournage, et le studio ayant promis de ne pas la recaster in la reconstituer en images de synthèse, Leia va devoir mourir hors-champ, alors que sa mort aurait pû être belle, au mains des sbires de son fils.


Leia sait donc voler. Vous le saviez, vous ? Moi pas. On ne me l'avait pas dit. On n'y a jamais fait allusion.



Pas si vite



C'est un motif récurrent du film que de faire allusion à des capacités précédemment inconnues de la Force. Ce n'est pas une mauvaise chose (Yoda qui provoque un éclair alors qu'il n'apparaît qu'en tant que fantôme, par exemple), même si on aurait pu apprécier que ces pouvoirs soient amenés plus en douceur.


Le plus frappant de tous ces pouvoirs et celui de "projection". Les personnages se projettent pour se retrouver présents dans le champ de vision d'un autre, plus vrais que nature, malgré la distance qui les sépare. Ils peuvent même étendre ce pouvoir à des objets.


Le film use et abuse de ce pouvoir. Nous n'en avions vu dans d'autres films que des bribes : les fantômes, les messages télépathiques, la persuasion, les visions. Mais là, tout ça à la fois revient à offrir aux personnages un pouvoir de téléportation.


Des personnages aux pouvoirs démesurés, certes, mais aucun plus que Rey. Rey, qu'on critiquait comme Mary-Sue (c'est-à-dire personnage idéal qui réussit en tout). Je ne sais pas si la critique était méritée dans TFA. Elle l'est dans TLJ. Avec peu d'entraînement mais beaucoup de volonté, Rey maîtrise la télékinésie, les arts martiaux, résiste à la persusasion, arrive à battre des gardes surpuissants et même Luke Skywalker.


La généalogie de Rey reste -- malgré une déclaration peut-être mensongère de Kylo -- en suspens. Est-ce que ça expliquerait ses pouvoirs démesurés ? Peut-être. Mais même Luke Skywalker, fils du puissant Anakin, a dû suivre un entraînement pour maîtriser ses pouvoirs. A moins d'expliquer les compétences de Rey par sa généalogie, par un secret bien gardé, il ne nous reste qu'à conclure que son personnage est puissant par simple surenchère.


Comment parler d'arc, de progression, quand ses pouvoirs du personnage son déjà si développés ? Comment s'attacher à cette Superwoman infaillible de l'univers SW ? On ne peut pas.


Elle est en effet infaillible : son histoire dans le film est la seule à vraiment être couronnée de réussite, à amener quoi que ce soit. Car le thème du film est celui de l'échec.



Une histoire d'échecs



Si Rey parvient presque à accomplir sa tâche (retrouver Luke et le convaincre d'aider la Résistance, recevoir son enseignement, tuer Snoke, mais pas sauver Kylo) tous les autres personnages connaissent l'échec. Et si la faillite peut être un thème important (comme dans Empire Strikes Back), il ne faut pas en abuser, car si rien n'est accompli à la fin d'un film, le spectateur se demandera: "Franchement, qu'est-ce qui s'est passé dans ce film ?"


Luke s'exile après son échec face à Kylo Ren. Il refuse d'entraîner Rey de peur d'échouer à nouveau, avant de se sacrifier pour faire gagner du temps à la Résistance. Cela me parait incompatible avec ce que Luke représente, mais passons.


L'amiral Holdo prend la relève de Leia à la tête de la flotte Résistante. Son plan pour sauver les passagers échoue, et elle se sacrifie pour faire gagner du temps à la Résistance. Ce sacrifice -- plein de jolis effets spéciaux s'il en est -- manque cruellement de poids du fait que ce personnage oubliable est tout nouvea (pourquoi pas sacrifier un connu, comme l'amiral Ackbar ?).


Poe mène à bien une attaque contre un vaisseau de Premier Ordre, mais perd beaucoup de combattants dans l'attaque. Plus tard, il organise une mutinerie, qui prend fin lorsque celui-ci est neutralisé par Leia, et est forcé de se plier au plan de l'amiral Holdo. Il mène pour finir une attaque contre le siège de leur base, qu'il annule pour battre en retraite.


Mais l'intrigue concernant Poe et Finn est de loin la plus représentative du problème de TLJ.
Poe, Finn, et Rose mettent au point un plan pour hacker le vaisseau du Premier Ordre et faire gagner du temps à la Résistance pour s'échapper. Pour cela, Finn et Rose vont se rendre au casino de Canto Bight pour y chercher un hackeur. Ils échouent, sont sauvés en prison par un autre hackeur qui les aide à s'échapper, les amène au vaisseau de Premier Ordre avant de les vendre à l'ennemi. Ils s'échappent (encore) avant de mener une ultime défense de la base Résistante. Poe tente de se sacrifier, mais échoue, sauvé par Rose.


Finalement, aucune de leurs actions n'aura eu la moindre conséquence sur l'histoire. Et ça, c'est d'autant plus vexant que Disney se vantait d'avoir de la diversité dans son casting. Finalement, les acteurs "minorités" jouaient des rôles mineurs.
Le cynique en moi voudrait que toute cette séquence n'ait eu pour seuls buts : de présenter de nouveaux personnages, le hackeur et Rose (et donc vendre des figurines); de présenter des nouvelles créatures (et donc vendre des peluches); de forcer un message pacifiste et écolo dans le film,( les richissimes vendeurs d'armes du casino se délectant de violence animale et envers les enfants); de créer un lien entre Finn et Rose, et donc donner quelque chose à faire au premier.


Quand les échecs du film sont artificiellement provoqués à la fois par le manque de communication des personnages et un timing arbitraire, ça fait mal. Quand tous les personnages semblent avoir échoué, quand leurs actions n'ont eu aucun impact sur une histoire qui rampe jusqu'à sa conclusion convenue, que dire sinon "c'est tout" ?



Recyclage Wars



Une critique récurrente envers TFA était que celui-ci recopiait A New Hope. En rétrospective, TFA respectait le spectateur en allant au fond des choses: il reprend du sous-texte, des situations, joue sur le parallélisme, s'inspire de ses aînés.


TLJ reprend lui aussi beaucoup de ESB et RoTJ. Mis à part le thème de l'échec (présent dans ESB, mais mieux exécuté), tout ce qui est repompé est très superficiel. Un maître Jedi reclus, méfiant d'entraîner son élève. Une planète isolée, couverte de neige (sauf que c'est du sel dans TLJ, c'est tout nouveau, ça) sur laquelle se trouve une base secrète prise d'assaut et défendue par une tranchée et une bataille véhiculée au sol. Un grand méchant dans sa salle du trône qui torture et manipule un jeune Jedi avant d'être trahi par son apprenti. Maître Yoda. Des petites bêbêtes mignonnes.


Est-ce forcément mal ? Non. Après tout, SW vit dans l'autoréférence, son univers (d'apparence immense) ne peut réussir qu'en restant restreint à ce qui fait son charme. Mais TLJ aurait pu recycler plus que ce qui était de l'odre esthéthique dans ses aînés.


TLJ utilise sans respecter. Les lieux sont reproduits. Les situations mimées. Les évènements rapprochés. Mais le film reste en surface. Pire, il trahit presque ses prédécesseurs et leurs intentions.


Luke Skywalker, un médiocre descendant du personnage qu'il était dans la trilogie originale. Rey, dont la généalogie mystérieuse était entretenue par TFA, devient une fille-de-personne. Snoke, intriguant méchant de TFA, est oublié par TLJ. Finn, personnage charismatique de TFA, est relégué à un second rôle dans une intrigue médiocre.



C'est tout



Les scènes d'action sont bien faites. La musique correcte, mais très oubliable (c'était déjà le cas dans TFA). Certains personnages sont intéressants. L'histoire avance, il y a des rebondissements.
C'est tout. C'est tout ce que je peux trouver qui justifierait de regarder SW: TLJ.


Le film rapportera un milliard au box office quoi qu'on en dise. Les produits dérivés se vendront bien grâce à lui. Il y aura une suite que j'irai hélas sûrement voir en 2019, et un film Han Solo en 2018, et par la suite un film SW toutes les quelques années. Disney se consolide comme le plus gros studio de cinéma au monde, et peut-on s'en réjouir ? La médiocrité de ce qui en sort ne se reflètant pas dans les recettes, il n'y a aucune motivation financière de faire quoi que ce soit diféremment.


On se lassera de SW, cette série qui a passé son heure de gloire, et qui, comme les superhéros Marvel ou DC, nous assome régulièrement par son marketing. Mais je me souviendrais du SW qui faisait sourire, faisait s'accrocher à son siège, qui n'était pas parfait, mais qui avait du coeur et des couilles.


La seule chose qu'il nous reste à espérer, c'est que Disney sorte un jour la trilogie originale en DVD/BR sans les changements odieux qu'y à apporté George Lucas. J'arrêterai peut-être de subir ces nouveaux SW, je regarderai les anciens tous les ans à la place.

NathanCasteler1
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le 16 déc. 2017

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Nathan Casteler

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