Conséquence inévitable de la fermeture brusque de l'Épisode VII, Les Derniers Jedi s'ouvre sur un texte défilant dont le contenu est à peu de choses près exactement le même que celui du Réveil de la Force. Mais pas de panique, Rian Johnson ne compte pas rester dans l'état d'esprit adopté par J.J. Abrams et a pour intention de démarrer un affranchissement des standards de la saga. Pour le meilleur comme pour le pire. Et en se prenant souvent les pieds dans le tapis.


L'ouverture sur fond de bataille spatiale aux échos de Rogue One a de quoi rassurer sur le grand spectacle promis par le réalisateur de Looper qui fera de l'apprentissage dans l'échec sa principale motrice émotionnelle tout en suivant l'approche la plus intéressante pour laquelle avait opté Abrams, donner la voix au petit monde, les personnes les plus insignifiantes pouvant changer le cours des choses. Finn bien sûr mais aussi sa nouvelle partenaire, Rose, mécanicienne de la Résistance rejoignant cette grande aventure intergalactique.


Pour autant, Johnson ne se prive pas d'adresser quelques piques au précédent film et sans vraiment rehausser le niveau (l'attitude hitlérienne de Hux ne servant plus que de ressort comique, le symbolisme flingué de la dernière séquence du VII) et tout ça au prix d'un humour intrusif clairement de trop dans une histoire insistant sur la gravité des événements. Le metteur en scène est bien plus pertinent quand il se permet de restructurer le schéma classique de Star Wars (la première connexion réelle de Rey avec l'énergie d'Ahch-To, l'ingéniosité redoutable des champs-contre-champs opposant Rey à Kylo Ren) même si il y a boire et à manger dans les choix finaux.


De fausses bonnes idées, Star Wars : Épisode VIII en regorge. Le motif est toujours compréhensible mais des décisions des plus farfelues viennent marquer une rupture importante avec la crédibilité scénaristique (et artistique) du projet. On retiendra parmi elles l'une des scènes les plus ridicules de la saga toute entière où


Leïa, immobile comme un bout de carton, réussit à s'extirper de l'espace et revenir sans dommages à son vaisseau-mère grâce au pouvoir (commençant à relever de la pure magie) de la Force. Que dire alors du retour de Yoda en marionnette numérisée bien cracra de l'ancienne Trilogie dont l'apparition fait perdre tout son sérieux au dilemme mis en place.


Une chose était certaine. Lucasfilm et Disney ne savaient pas où aller avec ce nouveau cycle de la Famille Skywalker et Rian Johnson se retrouve bien embêté de devoir répondre aux questions laissées en suspens par Abrams (qui, rappelons-le, n'avait rien en tête pour les histoires suivantes). Cette confusion créative oblige Les Derniers Jedi à laisser plusieurs éléments dans le flou (le contexte géopolitique aussi abstrait qu'auparavant, les Chevaliers de Ren répondent absents), à décevoir sur l'éclaircissement de certains mystères (le doute quant aux origines de Rey n'aboutit que sur du rien) et à se débarrasser purement et simplement de pistes éventuelles pour les suites (


Snoke dont on ne connaîtra jamais le passé ou les motivations


).


Il se rattrape cela dit sur le parti esthétique bien plus maîtrisé que son aîné. Hormis quelques minuscules fautes de goût, ce huitième chapitre présente une bonne homogénéité visuelle et une mise en scène ultra-efficace redonnant sa vie et ses couleurs à l'univers Star Wars. Les plans sont réfléchis, ont du sens et reflètent l'architecture monumentale des infrastructures militaires. Steve Yedlin fait un quasi-sans-faute à la photographie, embellissant les séquences déjà très spectaculaires et filmées avec dynamisme à l'image de la bataille finale sur Crait.


Au milieu de l'insubordination et de l'hésitation, les moments de bravoure ne manquent pas. Les personnages gagnent tous en profondeur, Poe Dameron a enfin le temps de briller tandis que BB-8 assume plus que jamais son statut de star des nouveaux volets, et quelques uns d'entre eux arrivent à surprendre par leur dimension tels la Vice-Amiral Holdo qui


, par sa mort héroïque,


propose le plan le plus époustouflant du film. Rian Johnson reprend ainsi le concept inusable du sacrifice nécessaire pour la sauvegarde de l'équilibre quitte à ce que celui-ci soit faussé ou transformé. Un rappel fait par


l'ultime agissement de Luke Skywalker, décidant de mourir en légende pour faire revivre la flamme en chaque être vivant aux quatre coins de la Galaxie.


Le symbole final de dernière minute concluant le long-métrage est sujet à discussions puisqu'il renvoie à la vision unique de Rian Johnson, comme s'il avait conçu cet épisode intermédiaire tel un film-double. Une transition vers un troisième acte décisif mais aussi une envie farouche de refaire à sa sauce l'identité et la trajectoire de la trilogie actuelle. Pas pour rien que l'Épisode VIII a des airs de fouillis tant il accumule les arcs narratifs et les protagonistes en ne sachant pas forcément quoi en faire (


Maz Kanata disparue aussi vite qu'elle est apparue, le décrypteur joué par Benicio Del Toro au destin ignoré


) mais qui a le mérite de vouloir sincèrement connecter l'ensemble.


Bien plus dense et chargé que Le Réveil de la Force, Star Wars : Les Derniers Jedi est définitivement un opus à voir une seconde fois pour prendre le temps de tout assimiler et de repenser aux questionnements qu'il pose. Inégal, pesant et chaotiquement découpé, il est toutefois digne d'intérêt pour constater que la bonne foi d'un honnête cinéaste peut faire évoluer un cahier des charges conséquent et lui apporter la touche personnelle accordant une valeur non-négligeable au film et son apport à la saga. Curieux le fan est de voir ce qu'il en sera de la quatrième trilogie hors-série prévue par Johnson et craintif demeure-t-il à l'idée que J.J. Abrams va revenir derrière la caméra pour l'Épisode IX et achever ce qu'il a commencé. Mais un retour en grâce n'est pas impossible.

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le 14 déc. 2017

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Walter-Mouse

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