A l'aube d'une nouvelle trilogie initiée par l'empire des rêves JJ Abrams optait pour ce retour d'un souffle, une oscillation passionnée entre fanatisme et désacralisation constante au service d'une nouvelle génération encore et toujours bercée par ces récits d'un autre temps. Un héritage piétiné comme idolâtré qui sans sombrer dans l'inhumation de Rogue One (ou d'un Blade Runner 2049 récemment) ne permettait pourtant pas l'émancipation forcément espérée. Mais grâce à TFA et un héritage enfin assumé comme dépoussiéré, c'est alors sous le signe de la postérité que nos reliques du passé peuvent désormais se révéler.


Dès lors comment ne pas s'attarder sur Kylo Ren. Campé par un Adam Driver qui est sans doute l'une des meilleures idées de casting depuis bien longtemps dans le genre, le personnage ne cesse de captiver. Il était la projection d'Abrams dans le septième opus, ce jeune esprit vénérant un culte et qui de fait se condamnait à échouer face au poids des histoires. Il devient par l'écriture de Johnson cette entreprise de destruction du temple et ses credo, un anéantissement entre force et aveu de faiblesse qui toutefois ne pourra jamais vraiment s'affranchir de ses origines, preuve aussi du recul de notre réalisateur. A ce titre Kylo Ren est probablement le personnage le plus fascinant de toute la saga, son parcours définitivement lié aux regards successifs de nos créateurs. Hanté par ses succès comme ses échecs, condamné à ne jamais totalement s'accomplir depuis son parricide consenti jusqu'à même renforcer ce qu'il souhaitait annihiler. Sans cesse mis à l'épreuve, se déconstruisant à coups de révélations pour mieux grandir, il incarne l'éclatement définitif du manichéisme propre à cet opus typique de la lignée des Skywalker ainsi que du projet.


Ce huitième épisode ce sont alors ces personnages et la générosité même de son réalisateur. A l'image d'une ouverture in medias res tonitruante incarnant ce prolongement d'un code mais aussi son appropriation dans l'espace et le temps, le grandiose permet d'écrire ces individus, les caractériser sans même les avoir encore rencontrés d'ailleurs. Dans la densité qui est la sienne le film accorde un traitement relativement équivalent à tous nos protagonistes. Nous suivons ainsi trois et parfois même quatre arcs différents sans compter les flash back récurrents comme autre émancipation formelle et narrative. Une Résistance où la figure du héros comme celle des idéaux se voient discutées, un regard nouveau sur les fléaux de la galaxie jusqu'alors passés sous silence et parmi lesquels l'instrument de soumission pourra prétendre à la portée salvatrice dans les mains d'un enfant, et enfin cette trinité inévitable au dénouement d'anthologie. Absolument tous nos personnages changent et évoluent, apprennent de leurs erreurs et puisent dans leurs fors intérieurs. C'est là une des immenses force du film, concerner tout le monde, bâtir désacraliser violenter puis vivifier sous le signe de l'enseignement, celui des légendes qui nous éduquent et nous élèvent.


Le film a beau souffrir d'un humour parfois trop envahissant comme d'une inégalité presque rageante dans l'impact des récits déployés selon les moments, le tout n'en reste pas moins grand tant l'ambition se concrétise. Une profonde réflexion sur la saga mais aussi sur le cinéma actuel trop souvent pris en otage par un public qu'il pensait pourtant malléable à volonté, un cinéma apeuré/aliéné par son histoire et ses succès d'antan, trop souvent incapable de s'affranchir de ses aînés. Tels les ultimes legs du passé, certaines apparitions nourriront même les films précédents. C'est aussi cela la grande force de The Last Jedi, puiser dans 7 opus pour donner encore plus de sens à ces derniers. Le scénario s'avère être une mine de références que la présence de Luke illustre parfaitement, chacune de ses apparitions sont mémorables, entre faiblesse et sagesse. Aussi la prélogie est-elle définitivement réhabilitée et même centrale bien souvent. Le passé est discret, justifié mais surtout moteur du récit entre souvenirs traumatismes et dénis. Au détour d'une dizaine de scènes déjà cultes pour la saga entres retournements et discours Rian Johnson réhabilite le mythe, l'élève en ce sens qu'il le rend pertinent, preuve qu'il y avait quelque chose à raconter et à puiser dans ces récits connus du public. Il y a une véritable saveur d'accomplissement thématique qui émerge et en particulier sur la structure des ordres sacrés d'autrefois. C'est alors la portée politique même de la saga qui renaît quand ces noms et événements surgissent, teinté de nos souvenirs et expériences. Au-delà de la guerre, ce monde qui nous est conté depuis 40 ans prend une dimension plus consistante encore. En jouant avec son public, le touchant et le surprenant aussi, notre réalisateur dans le sillage d'une composition aussi belle que pertinente de John Williams fait preuve d'un talent certain pour la mise en scène. Une contemporanéité qui côtoie la pureté du cinéma de Kurosawa comme la sagesse de celui de Kobayashi pour ne citer qu'eux, prolongement des inspirations originelles aussi. Parfois de peu de mots le film se contemple et s'admire alors que les notes de Williams depuis la prélogie raisonnent bien souvent. Ainsi les fondements s'écroulent, nos certitudes s'évanouissent. A coup de sacrifices le film fait la preuve d'une esthétique absolument remarquable, se permettant là encore beaucoup de libertés et mêlant l'intime au magistral.


Un lien, un tiraillement continue entre nos deux héritiers pour un duel de 2h30 où les sabres ne se croiseront jamais, énième pari réussi et à mon sens le plus grand tour de force comme preuve de la puissance du film. Snoke et Luke s'évanouissent logiquement, l'un abusé par sa prétention
et comme son prédécesseur n'ayant rien retenu, l'autre accompli et rivé vers l'horizon là où nous l'avions croisé au détour d'une fin à l'émotion rare.


Ce regard rivé vers l'infini astral mais permis par les lumières et les ombres de jadis caractériseront alors l’œuvre de Rian Johnson. En multipliant outrageusement les prises de risques et choix radicaux, notre réalisateur œuvre sous le signe de la cohérence entre prolongement et rupture faisant de The Last Jedi une nouvelle pierre fondatrice et indispensable à la saga. Un film essentiel au sens littéral du terme, une réflexion certaine tant les références miroirs et détails sont nombreux et riches symboliquement. C'est là toute la portée même d'un mythe que de savoir synthétiser un héritage pour lui conférer une valeur structurante et formatrice pour l'avenir. C'est ce qui fait alors de The Last Jedi un objet de cinéma absolument fascinant vis-à-vis de son art comme de son histoire dans ses réussites et ses erreurs. La libération créatrice comme émancipation définitive où l'héritage n'a finalement de sens que si on le fait vivre et le transmet.

Chaosmos

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