Fans Wars, épisode 8 : l'émotion de l'émancipation

J'en ai parlé ici et là mais plus le temps passe, plus Star Wars me fascine, davantage par les réactions que la saga suscite que pour les films en eux-mêmes. Non pas que ceux-ci n'attirent pas ma curiosité ou me laissent indifférent, que du contraire. Mais en tant que personne appréciant beaucoup Star Wars sans lui vouer un certain culte, j'ai forcément une vision un peu différente des fans hardcore. Or Star Wars me semble l'exemple ultime de la saga que l'on s'est appropriée. Plus qu'à Lucas ou Disney, elle appartient aux fans. Ou du moins, c'est le sentiment qu'ont beaucoup d'entre eux, consciemment ou non. Cette appartenance joue sur leur sensibilité et leur jugement et ainsi, chaque scène sera scrutée à la loupe, chaque personnage aura une importance décuplée, aboutissant à une opinion des plus tranchées Voyez les débats acharnés autour du "Han shot first" et le déferlement de haine contre Jar-Jar Binks pour ne citer que des exemples marquants.


J'ai donc le sentiment qu'on pardonne de moins en moins de choses à Star Wars. La prélogie très contestée a sans doute eu son rôle à jouer. Il était donc logique que le Réveil de la Force reste en terrain connu pour en froisser un minimum. Ironiquement (mais aussi logiquement), cette volonté de rester fidèle lui a été reprochée, son décalquage de l'épisode IV étant à la fois sa principale force et sa principale faiblesse. Les uns appréciaient cet attachement et cet amour pour l'univers ainsi que ce jeu de miroir entre les générations, les autres pointant du doigt l'absence du facteur "wow" et de renouvellement, aboutissant à l'impression que, plus que jamais, Star Wars n'était plus qu'un objet marketing... ce qu'il était déjà dès la trilogie originale. Ewoks les gars...


Puis vint Rogue One qui, grâce à sa position de spin-off, avait davantage la possibilité de se différencier, d'oser plus. Cela s'est fait dans la douleur avec les fameux reshoots mais cette maladresse n'a pas effacé ses qualités, le souffle épique et l'aspect tragique lui permettant de se distinguer davantage, jusqu'à même surpasser le Réveil de la Force pour certains (moi compris). Feu vert donc pour un épisode VIII chargé de prendre un nouvel envol et instaurer définitivement une dynamique neuve. Or cela tombe bien, c'est exactement la thématique principale du film : laisser le passé de côté. Ce qu'il ne fera pas sans problèmes


Les Derniers Jedi a des défauts évidents. On sent une hésitation dans le ton, la majorité des pointes d'humour étant au choix hors propos ou mal insérées. Cela donne dans un premier temps un rythme maladroit où plusieurs scènes importantes n'ont pas eu l'impact mérité. Aussi, les réactions des personnes semblaient plus d'une fois quelque peu aléatoires, plus guidées par le besoin de faire avancer l'histoire que par une réelle logique ou caractérisation. A croire que le film ne savait pas toujours où donner de la tête. Enfin plusieurs choix scénaristiques ont de quoi irriter avec notamment une utilisation pour le moins "cheaté" de la Force, sans oublier qu'au final, toutes les questions laissées en suspens dans l'épisode VII ne sont pas vraiment résolues. Et ne semblent pas nécessairement en voie de l'être pour le prochain opus.


Ces défauts existent et pourraient avoir trompé certains sur la marchandise. Au départ, ils m'avaient refroidi et faire craindre un opus décevant. Ils m'empêchent d'ailleurs toujours de mieux noter ce film, quand bien même j'aimerais bien. Car heureusement il n'est pas décevant et même très bon grâce à toutes ses qualités. Cela ne fait pas oublier ses problèmes mais aucun Star Wars n'était parfait. Les premiers épisodes faisaient juste un meilleur travail pour cacher les trous de son scénario et en tant qu'épisodes "originaux", nous cherchions moins les problèmes que pour ces derniers travaux. Les premiers pouvaient se contenter d'exister, les derniers doivent justifier leur présence. Heureusement Les Derniers Jedi le fait surtout sur deux principaux points : le refus du manichéisme et la volonté d'émancipation.


L'identité de Vador et le caractère de Han Salo avaient déjà posé de bonnes bases pour signaler que tout n'était pas aussi simple et que la frontière entre le côté obscur et la lumière n'était pas si épaisse. Rogue One avait complété ça avec une résistance n'ayant pas nécessairement les mains propres. Les Derniers Jedi s'en fait une spécialité, de par le tiraillement de Kylo Ren et Rey, les stratégies de la République pour juste survivre ou les démons intérieurs de Luke Skywalker. Tout cela est pertinent et participe à humaniser cette galerie de personnages, nous faisant presque oublier les quelques facilités d'écriture auxquelles je faisais allusion. On a même droit à une dose de cynisme via le personnage roublard de Benicio Del Toro, qui remarque bien qu'en temps de guerre, le profit reste roi et qu'importe si on est "bon" ou "mauvais". Sachant qu'on traite Star Wars de machine à fric depuis le rachat par Disney, j'oserais presque dire qu'il s'agit d'un commentaire meta.


Ce qui m'amène à cette fameuse émancipation,à la fois dans ce que raconte le film et ce qu'est le long-métrage lui-même. Cela se sent notamment via l'arc narratif d'un Luke Skywalker ne considérant plus les Jedi comme sacrés, jusqu'à rappeler leur échec face à la prise de pouvoir de Dark Sidious, et qui sera amené à clore le chapitre de ces chevaliers de l'espace, tout en restant un symbole pour la prochaine génération. Ou comment rappeler que Star Wars n'avait pas pour vocation à devenir le film culte qu'il est (comme Luke), que la saga a fait des erreurs (la Prélogie, enough said) mais quitte à avoir obtenu un tel statut, autant continuer à faire rêver. Un parallèle qui me fascine personnellement.


Émancipation également de mise chez Kylo Ren, personnage qui incarne presque à lui seul la trilogie N°3 en tant qu'antagoniste rejeté dans l'ombre de Dark Vador et condamné à subir des comparaisons défavorables. Parallèle on ne peut plus évident et pertinent ici. Le voir briser son casque n'était donc que logique (première scène forte du film) et faisait office de premier geste d'indépendance. On le voit toujours tiraillé entre les deux côtés (refus manichéisme again) mais plus déterminé à faire régner sa part d'ombre, le rendant plus menaçant mais toujours attachant.


Cela permet aussi à Adam Driver d'offrir une excellente performance, plus juste que dans l'épisode VII. Le bonhomme est clairement le meilleur aspect de la jeune garde, sans rien retirer à la bonne volonté des Ridley, Boyega et Isaac qui ont toute ma sympathie. Cela étant, leurs prédécesseurs volent la vedette sans problème. Notre regretté Carrie Fisher nous quitte en beauté avec un temps de présence à l'écran lui rendant justice et une implication sans fausse note (en dépit d'une scène assez abusée). Mais bien entendu, c'est ce cher Mark Hamill qui l'emporte, le bonhomme ayant une présence magnétique phénoménale, parvenant à intriguer, émouvoir, effrayer même brièvement, jusqu'à acquérir une "badassitude" qui force le respect, le plus souvent rien que par sa gestuelle et son regard. Ironique pour quelqu'un ayant basé une bonne partie de sa carrière sur le doublage mais prouvant un grand talent qui aurait mérité d'être plus exploité ailleurs.


Enfin The Last Jedi parvient à avoir ce souffle épique qui manquait dans The Force Awakens, que ce soit via des batailles spatiales plus nombreuses, une réalisation plus personnelle, ou l'accent mis sur les nombreuses pertes humaines, là où la trilogie originale semblait ne pas en faire grand cas. Renforçant de fait la dimension humaine que l'on aime tant dans la saga. Ajoutez à cela une musique toujours optimale (quoique dépourvue de nouveau thème fort), un bestiaire des plus sympathiques, un BB-8 aussi adorable qu'improbable et un fan-service très bien géré, même émouvant à plus d'une reprise et servant la thématique principale du film le temps d'une scène. Idem pour ces fameux choix scénaristiques qui peuvent faire tiquer mais qui trouvent pour la plupart une cohérence, à la fois dans la volonté du film de partir sur autre chose, et dans l'arc narratif des personnages.


Les temps changent, la fascination reste. Star Wars est maladroit, étrange et rempli de défauts mais spectaculaire, intriguant et diablement attachant. Comme l'espèce humaine en fait.

Masta21
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le 15 déc. 2017

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