En voilà un film intéressant. Pas parfait, mais fichtrement intéressant. Et bien mieux que bon nombre de films qui ont fait parler d'eux aux Oscars.

Le scénario est minimaliste. L'histoire se divise en trois parties qui montrent le personnage principal affronter les mêmes personnages secondaires à chaque fois, et ce avec plus ou moins d'aide de son assistante. C'est intéressant, ça permet d'aller à l'essentiel. Et pour une fois, la longueur du métrage ne me donne pas envie de dormir (en même temps, Boyle et son scénariste entrent directement dans le bain, pas de tergiversions pendant 40 minutes sur ce que pourrait être le film).

La première partie est extrêmement bien ficelée : les personnages sont bien amenés, bien présentés et bien caractérisés. La seconde partie est déjà construite avec un peu moins de rigueur, moins d'efficacité, mais reste un très bon segment. La troisième partie est sans aucun doute la plus faible, parvenant tout juste au statut de 'bon' divertissement. La raison est que les interventions sont ici structurées de manière beaucoup plus chaotique et donc moins bien orchestrée, pour reprendre la métaphore du héros dans le film. Les personnages sont toujours là, on a même droit à quelques évolutions sympathiques à défaut d'être originales. L'autre soucis, c'est que, sans crier gare, l'intrigue liée à la fille prend soudainement trop de place. Le parallèle entre les deux héritages est intéressant, mais je trouvais ça plus pertinent et plus intéressant, narrativement parlant, de laisser l'esprit de famille en retrait. D'ailleurs, le happy ending à ce niveau-là est un peu faux, et le personnage principal en perd toute sa force.

Ce qui m'a intéressé dans ce film, c'est que c'est un film de science-fiction. En effet, si on oublie qu'il s'agit d'une histoire vraie, ce récit paraît complètement fou : un homme vend l'avenir, le futur (sans parler des ordinateurs, de ce qu'on imagine déjà qu'ils pourront faire plus tard). C'est aussi un film sur la science-fiction. Parce que la science-fiction n'existe pas dans la réalité, c'est de la fiction ! Et c'est ce que Jobs vend parce que la plupart du temps, ses machines ne sont pas au point, tout n'est que chimère.

J'ai pensé à "Star Trek : The movie" de Robert Wise aussi durant le film, parce que Jobs, au fond, c'est Dieu, le créateur des machines (même s'il est plus un visionnaire qu'un artisan). Le parallèle entre son empire fait d’algorithmes et celui de sa famille (fait de chiffres également) m'a paru très intéressant : il vend quelque chose qui ne fonctionne pas mais qui est promis à un futur brillant ; n'est-ce pas un peu la condition d'un enfant, un être humain incapable encore de servir la société mais que l'on suppose apte, dans un avenir proche, à le devenir, voire même à améliorer le monde ? Jobs transfère tout son amour paternel à ses ordinateurs. Je pense que Sorkin aurait pu aller plus loin dans cette voie, mais en l'état, c'est déjà pas mal. Pour en revenir à Dieu, on peut vraiment comparer cet homme qui s'adresse à des fans à Dieu en train de s'adresser à son peuple, son culte. Un Dieu de l'ancien testament, bien sûr, c'est-à-dire un Dieu qui peut se montrer violent, égoïste, injuste.

La mise en scène est bien aussi. Boyle conserve quelques rares tics, mais dans l'ensemble, c'est épuré. Ce qui n'empêche pas d'avoir quelques très chouettes séquences bien préparées (au contraire du film "Victoria" ou tout semble improvisé). Et puis les acteurs sont très bons. Fassbender d'abord, qui enchaîne véritablement les rôles de composition. Les autres ensuite, en faisant face au personnage principal sans fléchir. Clairement, ils devaient moins rayonner, jouer de manière moins nuancée. Et puis il y a la délicieuse Kate Winslet, toujours aussi belle, élégante, un peu chubby sur les bords et n'ayant pas peur de laisser son grain de beauté au coin de la bouche : quel charme. Enfin, la musique, certainement un peu trop présente par moment et surtout inconstante : on a quelques très bons morceaux d'ambiance, un peu électro, qui fonctionnent bien et puis à partir du second segment, ça vire à quelques chose d'un peu plus pop et de moins efficace. Ce n'est jamais dérangeant, parce qu'il se passe plein de choses, que les personnages parlent beaucoup, du coup, on oublie cette sonorité. Mais elle revient à l'esprit régulièrement avec plus ou moins d'efficacité.

C'est aussi un film sur le mouvement. Les personnages parlent mais surtout, ils circulent. C'est passionnant et j'aurais presqu'envie de dresser une carte des lieux. Dans "Victoria", on retrouve un peu cette envie de dresser une carte, mais il reste trop de passages où le chemin est ellipsé et puis surtout, le terrain est trop vaste.

Bref, j'ai bien aimé ce film, j'ai passé un bon moment de divertissement, j'y ai trouvé pas mal d'éléments que j'aime dans le cinéma (des personnages caractérisés, des relations conflictuelles, un rapport dominant-dominé, des dialogues qui mettent en avant la caractérisation et qui ne sont pas vains comme c'était le cas dans le décevant "The Hateful Eight") ; il reste quelques défauts et pas des moindres, mais au final ça n'a pas trop gâché mon plaisir.

Bonus : https://image.noelshack.com/fichiers/2019/27/6/1562439418-steve-jobs.jpg

L'actualité sur Steve Jobs