Puppet Girl
Dans une boîte de nuit, la fureur des projecteurs s'abat sur la silhouette d'Ella, figée seule au milieu des lieux. Les clignotements des lumières colorées ont beau nous laisser entrevoir son visage,...
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le 21 mars 2024
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Dans une boîte de nuit, la fureur des projecteurs s'abat sur la silhouette d'Ella, figée seule au milieu des lieux. Les clignotements des lumières colorées ont beau nous laisser entrevoir son visage, il ne semble pourtant jamais être le même, un panel d'expressions contradictoires s'y dessine sans interruption jusqu'à parfois emmener les traits de la jeune femme vers quelque chose qui n'a plus rien d'humain.
Ella est un être indéfini, dont les contours restent à sculpter, et la séquence d'ouverture de "Stopmotion" nous le dévoile magistralement en quelques secondes par cette superbe idée de mise en scène. Ella est une femme sans âge, coincée quelque part entre une figure maternelle vieillissante et austère, spécialiste renommée de l'animation en stop motion pour qui elle joue les assistantes serviles, et les échos de plus en plus lointains de ses aspirations de jeunesse que son moi adulte ne paraît plus savoir comment embrasser ou même quitter (cette notion d'entre-deux étouffant, on peut parler d'étau, se retrouve d'ailleurs au sein de quelques éléments des décors). Comme elle le dira elle-même, elle n'a pas trouvé sa voix (et non sa voie), sa singularité qui pourrait donner un véritable fil conducteur au marionnettiste derrière ceux de sa propre existence.
Touché par un drame qui coupe justement un de ces fils/piliers fondamentaux de façon abrupte, Ella y voit une possible opportunité de se réaliser enfin par elle-même grâce à ses créations artistiques. Mais la perte de repères induite par ce bouleversement sera en réalité trop grande, insurmontable et, au lieu de guérir ou de se définir par l'art, la jeune femme va complètement y perdre pied, dévorée par une descente aux enfers où chaque point d'appui vers un possible échappatoire paraît s'effriter pour l'enfermer un peu plus dans ses ténèbres faites de créatures pas si inanimées...
Tout cela va permettre au premier film de Robert Morgan (ayant évolué depuis une trentaine années dans le monde de la stop motion à travers des courts-métrages renommés) de faire rimer "Stopmotion" avec un univers psychanalytique peuplée de "puppets" morbides et vampirisant l'esprit de son héroïne de manière obsessionnelle jusqu'au point de non-retour. Et, bon sang, si le fond du parcours n'est pas le plus original qu'il soit dans ses grandes largeurs (l'artiste torturée se perdant dans les méandres de ses oeuvres reflets), les outils utilisés pour le matérialiser à l'écran font brillamment leur job afin de nous faire ressentir au plus près l'atmosphère glauque de la cage mentale de folie dans laquelle s'est enfermée Ella. Ses "élans" créatifs vont en effet induire de multiples séquences en stop motion malsaines pour ensuite les mêler à une réalité où la lumière littérale de l'environnement, ainsi que les maigres lueurs d'espoir apportés par ses rares proches, ne font que s'amenuiser au profit de la prolifération des abîmes de ses tourments intérieurs.
Tout autant à l'aise esthétiquement sur les représentations anxiogènes du monde imaginaire de son héroïne que sur les éclats de chair du réel devenant de plus en plus nécessaires à sa création (l'ombre d'un certain Cronenberg plane sur cet aspect), Robert Morgan peut également compter sur le soutien sans faille de son excellente comédienne principale Aisling Franciosi (révélée dans "The Nightingale" et depuis vue dans "Le Dernier Voyage du Demeter"), un atout ô combien précieux pour nous faire partager viscéralement le désespoir aveugle d'une héroïne engloutie par sa quête d'identité.
On espère que Robert Morgan va définitivement choisir de s'installer dans le long format car "Stopmotion" nous fait découvrir un cinéaste qui sait avec talent faire ressortir les déchirures humaines à travers sa propre grammaire artistique, où le bon goût du bizarre se dispute à celui de l'émotion la plus intime et dévastatrice, à l'image de cette "simple" séquence sur les mains dans une chambre d'hôpital, synonyme à elle seule du hurlement de détresse permanent d'Ella.
On sera là pour le deuxième film, à ne pas en douter.
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Créée
le 21 mars 2024
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6 j'aime
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