Su-ki-da
6.6
Su-ki-da

Film de Hiroshi Ishikawa (2006)

Jean-Claude Duss va-t-il réussir à conclure ?

Entre les cours, Yosuke (le gars) essaye laborieusement de gratter quelques accords sur sa guitare, pour composer une ritournelle musicale entêtante (au passage voici la zik à ne pas écouter si vous ne voulez pas vous spoiler son évolution, car son progres joue ici un rôle essentiel dans le récit et dans l'évolution des rapports entre les personnages, à la manière du film délivrance, ou de "Wish you were here" de Pink Floyd http://www.youtube.com/watch?v=OgvCDlSeidI ).

Composant à l'air "libre" dans une vaste campagne verdoyante, lumineuse, mais aussi désertique (ce qui donne un côté un peu féérique à l'ensemble), il a parfois la compagnie de Yu (la fille), qui l'écoute avec attention, lui parle de temps à autre, sifflote à longueur de temps sa musique (toujours en chantier, car le garçon est encore pataud avec sa guitare) à la maison, et en fait profiter sa soeur.

Soeur un peu attardée, pour laquelle elle organise des rencards avec le garçon en question, qui ne mènent à rien, si ce n'est lui faire réaliser qu'elle est follement amoureuse de lui.

Mais comme je l'ai dit, l'évolution de la musique et son achèvement est un indicateur de l'évolution des rapports entre nos deux héros :

1ère minute du film : la musique remplace les mots, elle trébuche, les accords sont dissonants, incomplets ils sont sifflotés.

1H40 générique de fin, la libération : la musique est complète et s'envole (d'où un film résolument optimiste contrairement à "in the mood for love" par exemple).

Entre ces deux moments, pratiquement pas d'évolution régulière, une immobilité quasi-totale, des errances, des impossibilités, une incommunicabilité, de l'incompréhension typiquement asiatique,où avouer, partager ses sentiments équivaudrait à se mutiler en s'enfonçant un poignard dans le coeur.

L'amour, les sentiments sont étranglés, retenus au plus profond des êtres.On est dans une approche quasi-microscopique des personnages (d'ailleurs un commentaire japonais du film parlait des "plis microscopiques de l'esprit"), à tel point que les partis-pris de mise en scène sont sacrément radicaux,et peuvent en rebuter plus d'un, même si d'une part ils sont pleinement justifiés, et d'autre part incroyablement classieux.

En fait, la quasi-intégralité des plans sont filmés au téléobjectif, comme si la caméra se trouvait toujours à plus de 300 mètres des personnages, et zoomait sur des parcelles de visages,de mains, de corps. L'effet est flippant, parce que par exemple dans la première partie qui se déroule dans de vastes étendues d'extérieurs infinis, les personnages sont cernés par ces cadres restreints, comme prisionniers de petites cellules, et le plus souvent isolés, avec des scènes de "dialogues" hallucinantes où tout en étant côte-à-côte ils ne sont pourtant jamais réunis dans le même plan.

Autant dire qu'il ne faut pas avoir peur de se faire chier en regardant ce film,

Imaginez un peu un réalisateur japonais qui se pointe un jour chez ses producteurs zêlés et qui leur sort:

"Tenez les gars, si on faisait un film sur deux autistes amoureux, qui marchent,en composant/jouant/chantant un morceau de 3 notes pendant 1h45, et tout cela entrecoupé par des images de ciel façon Terrence Malick, et parfois un peu de symbolisme,avec des insert d'eau qui coule histoire de donner un côté un peu trouble et mystérieux à l'ensemble?".


Alors soit on reste en marge du film et on souffre, notamment sur la première partie du film, soit on s'accroche et on voit à mon sens l'un des plus beaux et des plus poignants films que j'ai pu voir.

Le film est donc divisé en deux parties :
La 1ère donc se situe dans la campagne, c'est un tryptique "amoureux" (entre guillemets, parce que faut pas déconner, les sentiments ils sont de l'ordre de l'invisible).

La seconde redonne un coup de fouet au récit, la première se cloturant par un drame, et n'aboutissant à strictement rien (nos deux héros n'ont absolument pas avancé et se sont perdus de vue définitivement), on est propulsé 17 ans plus tard, dans une mégalopole!
Le cadre, l'univers est urbain et n'a donc plus rien à voir avec ce qui précède, ici les images lumineuses se sont assombris, ont bruni, les personnages auxquels on s'était attaché ont vieilli (d'ailleurs ce sont d'autres acteurs! Que j'adore ça au passage au cinéma!).

Ils se retrouvent par hasard, la première scène de retrouvailles, aussi belle, qu'inattendue et incertaine, a lieu au cours d'un casting musical (!! Et grâce donc à la fameuse musique qui ravive les souvenirs perdus, et les visages oubliés, l'effet est d'autant plus fort, que les acteurs étant différents, on ne sait plus très bien quelle sera la nouvelle Yu, et donc le réal se permet de perdre le spectateur dans quelques fausses pistes)

Il y a donc une véritable libération dans ces retrouvailles, l'espoir d'un amour possible dans un nouveau contexte, celui de la métropole.

Et pourtant rien ne bouge, la situation a limite empiré, nos héros sont toujours aussi amorphes, pire l'homme n'est pas devenu le musicien qu'il rêvait être, c'est un producteur de musique, et il n'a aucun souvenir de la mélodie qu'il composait jadis, et dont il promettait de faire écouter la fin à Yu.

Apathiques, déconnectés, ensevelis par le monde redoutable de la métropole, encore plus oppressant que la campagne de la première partie, qui les dévore, qui va dix fois plus vite qu'eux (cette scène à la fois drôle et rageante, où la porte du métro se referme sur la fille avant qu'elle ne lui dise où elle travaille pour qu'il puisse la revoir).

Tout semble vain, impossible, et là je me suis pris l'une des plus grosses claques de cinéma : dans les ultimes moments du film, la création improbable d'un suspense fracassant à partir d'une situation totalement statique, et tragique, où il est techniquement impossible que les personnages puissent se rejoindre. La tragédie couve, et par bonheur libère définitivement les émotions des personnages qui finiront par s'avouer une bonne fois pour toute leur amour dans un élan optimiste "Su-ki-da".

Un film magnifique.

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le 3 mai 2013

Critique lue 605 fois

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KingRabbit

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