Le début des années 2000 est pour le cinéma français un temps d’expérimentation : Pitof s’empare de la caméra numérique avec Vidocq (2001), Jean-Pierre Jeunet donne vie aux cartes postales de Montmartre dans son Fabuleux destin d’Amélie Poulain (2001), Gaspar Noé inverse la chronologie et l’ordre moral d’Irréversible (2002), etc. Sueurs doit être rangé parmi ces tentatives, parfois réussies et parfois ratées, de s’emparer des outils technologiques alors en développement pour réinventer l’image cinématographique : la frénésie de mise en scène, qui nuit volontairement à la lisibilité de certaines séquences d’action, le montage charcutier qui refuse de conférer plus de quelques secondes à ses plans, le jeu outrancier de ses acteurs, la photographie saturée et graphique qui rappelle les vignettes d’une bande dessinée, tout cela compose un happening artistique tour à tour hideux et fascinant, idiot et audacieux quant à son abandon des notions même de personnage et d’intrigue. Le film se situe entre Le Salaire de la peur tel que William Friedkin l’a porté à l’écran en 1977 (Sorcerer) et la saga Mad Max, anticipe d’ailleurs, la virtuosité et la maîtrise en moins, le chef d’œuvre que sera Fury Road (George Miller, 2015). Que Sueurs soit truffé de vulgarités et d’incohérences compte finalement moins que sa détermination farouche à proposer autre chose au spectateur, à le sortir de sa zone de confort, et impose son imaginaire par sa pleine confiance en la puissance de l’image.