L'Odyssée de Jean-Pierre
Excellent documentaire sur la folie du super 8 qui embarqua toute une génération de jeunes passionnés de cinéma fantastique dans une véritable odyssée créative où capter la moindre image était un...
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le 8 mai 2020
Super 8 Madness nous replonge dans les années 80 et la Mad Génération à travers l'histoire du festival Mad Movies du film fantastique de Paris qui entre 1984 et 1989 permettra à de nombreux cinéastes amateurs de se frotter au cinéma de genre en toute liberté. Ce film documentaire est réalisé par Fabrice Blin qui lui même participait au festival 30 ans plus tôt avec ses propres courts métrages assurant à l'ensemble une belle sincérité, teinté de nostalgie. Il y-a dans Super 8 Madness a peu près tout ce que j'aime dans le cinéma avec de la passion, de la générosité, du bricolage, des effets spéciaux, de l'humour, de la nostalgie communicative, de l'animation, du gore, des tas de mecs qu'on aimerait avoir comme potes et une bonne grosse dose sincérité.
En 1984 le magazine Mad Movies qui à l'époque était (encore) extrêmement proche de son lectorat lançait un concours de courts métrages super 8 amateurs qui seraient projetés lors d'un festival à Paris. Le but pour Jean Pierre Putters était de tendre un nouveau pont entre le magazine et ses lecteurs, d'organiser un événement festif et d'espérer trouver en secret le Sam Raimi français dans une génération abreuvée de VHS et de la lecture de la sainte trinité Starfix / Mad Movies / L'Ecran Fantastique. Le succès du festival ne fera que grandir au fil des ans jusqu'à devenir un monstre incontrôlable qui finira par se dévorer lui même. Il y-a presque trois films dans Super 8 Madness , du moins trois grandes thématiques, celui qui raconte l'histoire du festival, celui qui dresse le portrait d'une génération et celui qui célèbre le cinéma bis et bricolé des amateurs.
En ce qui concerne le festival je n'ai jamais eu l'occasion d'y assister à mon grand regret. Je lisais dans la revue la sélection des courts métrages et le résumé du festival quelques mois plus tard (Mad Movies n'était pas encore un mensuel). J'ai failli assister à l'édition de 1987 mais notre chauffeur nous avait fait faux bond au dernier moment, du coup je n'ai qu'un regard extérieur et distancé de l'événement. Le film de Fabrice Blin nous plonge fort heureusement au cœur de ce festival qui restera assez unique en son genre à travers des images d'archives et de nombreux témoignages de ceux qui l'auront vécu de l'intérieur à commencer par le créateur du monstre l'imminent docteur Putters. D'une poignée de courts métrages projetés dans une petite salle bien dissipée à une large sélection de films jetés en pâture à une foule hurlante, bordélique et déchainée le festival se sera sabordé lui même victime de son succès et surtout de son public. L'esprit bordélique mais bon enfant des premières éditions laissera doucement la place à une folle anarchie hystérique et irrespectueuse qui finira par se répercuter sur la sélection elle même avec des films de plus en plus calibrés pour le festival et plaire à un public qui voulait du gore, du fun et de l'humour et qui huait assez systématiquement les films avec des propos et des ambitions plus artistiques. Entre les potes venus huer les films concurrents, l'ambiance survolté de la salle, les hurlements, les jets de projectiles allant de la boulette de papier à la merguez il devenait de plus en plus difficile de regarder les films et encore moins de les écouter. En fin de festival les salles juchés de détritus que l'équipe organisatrice mettait des heures à tenter de remettre en état on eu raison du festival notamment car plus personne ne voulait l'accueillir. L'excès aura finit par tuer la passion même si Super 8 Madness regorge d'anecdotes très drôles comme ce réalisateur qui durant la projection de son film bruitait à la bouche et avec ses potes un effet sonore qu'il avait raté lors du tournage.
Super 8 Madness parle aussi bien sûr du cinéma amateur et de tout ces passionnés qui auront passé une bonne partie de leur adolescence à bricoler des films avec des potes et les moyens du bord dans d'interminables tournages. Le film leur donne largement la parole tout en proposant de nombreux extraits de films et documents d'époque sur l'envers du décor tels que des storyboards, des photographies de tournage ou des essais de maquillages. Alors bien sûr tous seront restés plus ou moins anonymes et même si beaucoup travaillent maintenant dans le cinéma comme Jean-Christophe Spadaccini (Maquilleur prothésiste sur Irréversible - Les Rivières Pourpres - La Cité des enfants Perdus - Dante 01 - Holly Motors) ou Jacques-Olivier Molon (Maquilleur sur Maléfique - A L'Intérieur) aucun n'est objectivement devenu le Sam Raimi français. Le nom le plus connu reste peut être celui de ce bon docteur Antoine Pellissier dit Dr Gore qui présentait au festival ses premiers films. Mais finalement peu importe la notoriété les différents intervenants parlent tous avec une même passion, un même enthousiasme souvent teinté d'émotion et de nostalgie. Et même si je n'ai jamais tourné de films en super 8, préférant m'imaginer réalisateur avec le camescope familiale, quiconque aura essayer un jour de faire un court métrage de genre avec des potes se reconnaitra dans les anecdotes et la passion de ces réalisateurs amateurs. La difficulté à maintenir l'enthousiasme sur de longue période de tournage, le besoin de faire avec les moyens du bord en improvisant, les potes en guise de très mauvais acteurs, le faux sang à base de sirop qui colle et attire les guêpes... Les divers intervenants se souviennent avec gourmandise des galères et des fous rires, des tournages mettant à contribution les potes et la famille et de cette envie de simplement s'éclater à faire des films. Comme tout amateurs de cinéma bis on aura tous rêver de mettre un plan nichons complétement gratuit dans nos maigres production d'adolescents mais comme l'explique très bien l'un des intervenants si c'était facile de convaincre des potes de faire les cons devant une caméra c'était bien plus délicat de demander à une amie de se dénuder pour l'amour du septième art. Super 8 Madness est donc bourré de petites histoires très drôles, de souvenirs émus car fatalement quand on tourne des petits films façon commando de pieds nickelés on se confronte toujours à la poésie du hasard. Je me souviens encore alors que je tournais une scène en forêt avec un pote qui courrait à travers les bois en hurlant un couteau à la main du regard entre effroi, consternation et apitoiement d'un brave chercheur de champignons qui passait là par hasard. Mais au delà de l'anecdotique Super 8 Madness rend hommage à la passion maniaque que mettait certains réalisateurs à faire des petits films en stop motion, à se niquer les yeux en faisant des effets spéciaux en grattant la pellicule et leur folle ingéniosité à concocter avec trois fois rien des effets gore et des maquillages parfois bluffant de réalisme. Le film rend donc fort logiquement hommage à Benoît Lestang et surtout Bruno Lemerchin deux fois double lauréat du grand prix et du prix du public et qui disparaitra tragiquement dans un accident de voiture à l'âge de 25 ans alors qu'il préparait son troisième film. Ses deux courts métrages Quand s'ouvre l'œil du Temps qui retrace l'histoire de l'humanité en stop motion avec des bouchons, du carton et des allumettes et L'Exil sur le destin tragique d'une créature extra terrestre sont de pures petites merveilles de poésie et de cinéma.
Et puis en filigrane de Super 8 Madness se dessine les contours de toute une génération que l'on appelait pas encore geeks mais qui vivaient une même passion abreuvée par la découverte de l'interdit du cinéma horrifique et des grands films des eighties. On a alors tous découvert plus ou moins en même temps Fulci , Argento, Romero, Craven, Carpenter, Raimi, Hooper et tant d'autres qui non seulement peuplaient régulièrement les pages de Mad Movies mais aussi les étagères des vidéoclubs. En plus de cette "compétition" de film super 8, Mad Movies organisait un grand concours de maquillage sorte d'ancêtres en version horrifique des cosplay, le cinéma de genre longtemps décrié et moqué devenait un socle de culture commune à de nombreux doux dingues dont je fais totalement parti. A travers ses pages et des rubriques tels que Ciné Fans Mad Movies ne faisait pas seulement la promotion du cinéma de genre il semblait dire constamment "Faisez en des films" dans un éternel appel du pied pour faire naître des vocations pour un cinéma de genre made in chez nous. Même si encore une fois peu ont concrétisé leurs rêves il reste une magnifique galerie de passionnés et Super 8 Madness donne la parole à plein de gens que je considère comme des maîtres et totem tels que Jean Pierre Putters, Christophe Lemaire , François Cognard, Jean Pierre Dionnet, Jean Claude Romer et dans une moindre mesure Catherine "Sangria" Falgayrac .
Si vous aimez le cinéma bis, le latex, les tournages dans le garage ou le jardin de papy et mamie, les bricoleurs aussi ingénieux que complétement fous, les doux dingues passionnés et le cinéma de genre, Super 8 Madness est un documentaire absolument incontournable.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Seul Au Monde (Ou Presque), Collection Part 2 : Films en DVD, 2022 : Films vus et/ou revus et Documentaires Bis/Z/X/Pop Culture
Créée
le 18 janv. 2022
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