La banale histoire de deux paumés. Ceux qui sont laissés sur le bas-côté de la route et qui sous le regard moqueur de la société dite normale, s’obligent à s’entre aider, quitte à planifier des coups fourrés pour prendre une certaine revanche sur celle-ci. C’est la banale histoire de Carla et de Paul où l’handicap devient presque un pouvoir, un super pouvoir. Comme si Sur mes lèvres était un film de super héros avant l’heure, ou un film noir remodelé dont la femme fatale ne serait pas celle que l’on regarde mais celle que l’on entraperçoit un peu gauche et suffisante avec elle-même. Jacques Audiard, réalisateur au décorum viril, filme là un rôle de féminin d’une beauté naturelle et d’une richesse à fleur de peau.
Elle est une belle femme mais ne le sait pas encore. Elle contemple son corps décharné dans la pénombre de son miroir mais n’y trouve aucun réconfort. Sa situation, celle d’une secrétaire exploitée dans une agence immobilière fait d’un microcosme masculin dominant, rend sa vie morne et solitaire. Comme sa meilleure amie, elle aussi voudrait avoir une vie de couple, ou un simple coup du soir, « un bout de viande » pour se laisser aller. A cause de son handicap (sa surdité), elle s’ostracise du bruit environnant mais lit sur les lèvres les moqueries de ses collèges. Pris de fatigue et de solitude, elle va employer Paul, tout juste sorti de prison pour vol aggravé et recel.
A partir de ce postulat qui s’intéresse dans ses premières minutes à inscrire son film dans une réalité sociale concrète mais sans misérabilisme, Jacques Audiard, avec une science de l’écriture parfaitement ciselée et un montage aux effets de style bien pensés, va mélanger les genres où le film social se recoupe aisément avec le polar proche de Bound des Wachowski, tout en gardant en ligne de mire cette romance qui n’en est pas forcément une aux premiers abords. Car, oui, l’une des forces du long métrage est de ne jamais tomber dans la facilité trop immédiate, dans l’attache émotionnelle trop rapide, où l’ambiguïté des sentiments est conjointe avec l’égoïsme des besoins de l’un et de l’autre. Elle demande son aide pour récupérer un dossier, lui pour trouver de l’argent sur le dos d’autres malfaiteurs.
Entre suspense et étude de caractère, quoiqu’un peu attendu dans sa finalité du rapprochement des passions, Sur mes lèvres fait parler les corps, par le biais d’une mise en scène proche des visages et des réactions parfois épidermiques, mais aussi à travers son duo d’acteur, interprété par la fascinante Emmanuelle Devos et l’intrigant Vincent Cassel. Relation fait de pulsion et de répulsion, entre une femme qui s’attend et une petite frappe, elle trouvera son paroxysme dans cette scène de jouissance du fait de la compréhension du bout des lèvres de l’autre. A la fois touchant et distant, fait de chaud et de froid, où la rudesse rencontre la timidité, Jacques Audiard réalise un melting pot cinématographique maitrisé jusqu’au bout des ongles.