Un père perché sur une branche philosophait sur l'existence...

De nos jours, après un siècle ponctué par Kurosawa, Ozu et autres réalisateurs dont on hisse les films au panthéon des classiques, le cinéma japonais se manifeste essentiellement auprès du grand public au moyen de l'animation, en dehors d'une poignée d'exceptions (notamment Hirokazu Kore-eda). Cependant, le pays a offert bien davantage aux cinéphiles ainsi qu'aux passionnés de la culture locale, qui prennent la peine d'aller au-delà de la distribution parfois désastreuse de certains longs-métrages pour trouver certaines perles, qui connaissent un (re)gain de popularité. Dans cette catégorie, on retrouve les prolifiques Sion Sono et Takashi Miike, ou bien le film étudiant Ne coupez pas!, plusieurs exemples démontrant la polyvalence et la créativité dont fait régulièrement preuve le 7ème art local. Cette critique quant à elle porte sur un autre nom méconnu de cette branche cinématographique : Survive Style 5+, premier film de Ken Sekiguchi.


Survive Style 5+ est donc une comédie dramatique teintée de fantastique réalisée par Ken Sekiguchi et distribuée en 2004. Ce film combine cinq histoires plus ou moins reliées, mettant en scène, entre autres, un homme hanté par le fantôme de sa femme, une réalisatrice de publicités absurdes ou bien une famille touchée par un drame des plus étranges.


Le premier point à souligner selon moi dans ce film est la multiplicité des genres et des styles cinématographiques. En effet, le réalisateur exploite le concept de film choral (dont le représentant principal est Pulp Fiction, auquel le long-métrage est parfois comparé) afin de brasser la comédie, le drame, la romance, l'histoire d'adolescence, le fantastique et même l'horreur. Si cet alignement, en quelques occasions maladroit, pourra décourager certains spectateurs, il est à mes yeux une superbe opportunité de découvrir tout le spectre créatif du réalisateur, puisqu'il cherche à appliquer sa patte et son originalité à chacun des genres abordés, souvent avec succès. Malgré leurs différences flagrantes, les cinq récits conservent une cohérence stylistique qui force le respect, particulièrement pour un premier long-métrage. Je déplorerai cependant des faiblesses lors de certains passages, comme celui de l'agente de publicité, qui peut assez vite décontenancer si l'on accroche pas. A l'inverse, tous les segments comprenant le veuf et sa femme fantomatique font montre d'une maîtrise visuelle et conceptuelle à chaque instant, en plus d'inclure la majorité des éléments fantastiques et horrifiques de l'oeuvre. Ainsi, Gen Sekiguchi dépeint son propre univers à travers d'autres carcans, et donne au long-métrage une unicité bienvenue qui, mise en relation avec d'autres facteurs, en fait une expérience étrange mais gratifiante.


L'originalité de ce film, en revanche, serait bien vaine sans la palette d'émotions qui l'accompagne. En effet, au même titre que la vaste étendue des styles abordés, on y ressent une quantité de sentiments, parfois contradictoires, assez impressionnante. Tour à tour circonspect, riant, ému voire angoissé, je suis personnellement passé par de multiples états d'esprits qui ont rendu ce long-métrage davantage agréable à suivre et à encaisser, montrant encore davantage que la polyvalence des genres joue en faveur du film. Si l'on peut reprocher, je pense, quelques passages parfois gênants (dans la romance principale, par exemple), ils sont bien moins présents que les moments drôles et touchants qui parcourent le long-métrage. J'ai particulièrement apprécié l'histoire familiale, comédie dramatique et absurde réussissant sur tous les tableaux. Le dénouement, quant à lui, conclut le film sur une apothéose d'émotions douce-amère, accompagné d'une superbe reprise (non enregistrée pour le film, mais tout de même) d'une chanson que je ne divulguerai pas.


Deuxième palette à entrer en jeu dans les qualités du film : celle des couleurs. De façon générale, les décors et visuels sont très riches et réussis, et Sekiguchi fait bon usage de son passé de réalisateur de publicités (ce qui rappelle l'un des personnages évoqués précédemment, peut-être une mise en abyme ?) pour insuffler au film une identité visuelle vraiment perceptible, autant au niveau des décors, pour lesquels je retiendrai particulièrement la maison du veuf et le spectacle de cirque, que dans certains costumes. Cette esthétique, associée aux régulières idées de mise en scène, notamment dans les portions fantastiques, apporte un intérêt supplémentaire au visionnage, un intérêt se rapportant au festin visuel opérant lors de certaines séquences, colorées et criardes à l'extrême par moments.


A toutes ces qualités s'ajoute notamment une ambiance d'une part très ancrée dans les traditions japonaises par son absurdité permanente et son étroit lien avec les esprits paranormaux, mais aussi un hommage à la culture occidentale. On a parlé précédemment des comparaisons avec Pulp Fiction, mais il est possible de mentionner l'un des acteurs principaux, Vinnie Jones, ou bien certains choix musicaux au cours du film. Il y a aussi les personnages, définis et hauts en couleur, bien que certains bénéficient d'une plus grande profondeur par rapport à d'autres, ainsi que les entrelacements entre les histoires qui découlent d'une maîtrise scénaristique certaine, particulièrement pour un long-métrage qui part autant dans toutes les directions.


En conclusion, malgré de petits moments de malaise et quelques longueurs, Survive Style 5+ est un long-métrage fortement original dans lequel Sekiguchi mélange toutes ses inspirations pour former un imbroglio coloré et chargé d'émotions de tous types. Utilisant son format de film choral au service d'un message optimiste au coeur d'une oeuvre qui ne l'est pas toujours, il parvient à surprendre toujours plus le spectateur pour se terminer sur l'une des plus belles fins que j'aie pu voir ces derniers temps. En plus des réalisateurs que j'ai pu citer plus haut, notamment Sion Sono qui, je pense, s'est inspiré de ce film pour certaines de ses pièces maîtresses (Love Exposure, Why don't you play in hell), je recommande la filmographie de Tetsuya Nakashima et particulièrement Memories of Matsuko, drame musical aux couleurs chatoyantes qui puise lui aussi ses références autant dans le cinéma local que dans les manières occidentales.

MurkyKwak
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le 24 févr. 2021

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