It Don't Matter If You're Black Or White
Suture a ceci de particulier qu'il est à la fois un film très simple à comprendre et très difficile à appréhender.
Facile à comprendre car on y voit un homme riche et détestable qui simule sa propre mort en sacrifiant un frère inconnu de tous pour échapper à son destin. Mais tout ne se passe pas comme prévu puisque le frère survit et tout le monde croit alors qu'il s'agit de l'autre, confusion entretenue par une amnésie du rescapé qui ne sait plus lui même qui il est. Un scénario de film noir simple et bien exploité, les motivations sont clairs et le plan limpide.
Difficile à appréhender car le premier frère, Vincent Towers, est joué par Michael Harris, mince, blanc, blond, et que le second, Clay Arlington, est joué par Dennis Haysbert, barraqué et noir. Pourtant lorsque Dennis Haysbert se réveille à l'hôpital tout le monde, y compris ses proches, pense que c'est Michael Harris... PERSONNE ne semble remarquer que Vincent Towers est devenu subitement noir, pas même les chirurgiens qui l'ont opéré et qui ont reconstitué son visage à partir de photos. PERSONNE.
Le film est en Noir et Blanc, au delà de la référence évidente aux films Noirs c'est surtout une façon d'exposer le thème de façon la plus symbolique possible. Ainsi Clay et Vincent sont les deux facettes d'une même personnalité, deux facettes construites de façon purement symbolique et non logique : L'une est riche, l'autre est pauvre. L'une est mauvaise, l'autre est honnête. L'une est blanche, l'autre est noire. Aussi simple que ça. Il faut ainsi se faire violence pour dépasser ce que nos yeux nous montrent. Le film pousse plus loin encore la suspension consentie de l'incrédulité qu'accepte de faire, en temps normal, le spectateur. Un pari casse-gueule qui empêchera sans doute de nombreuses personnes de rentrer dans le film, l'obstacle étant particulièrement énorme.
Mais ce choix très tranché est fait avec une certaine intelligence puisque les dialogues s'amusent beaucoup avec le concept. Ainsi lors de la séquence d'ouverture on voit Clay et Vincent discuter de leur ressemblance physique. On croit alors qu'il s'agit d'une simple blague sur leur différence évidente de physique. Puis le film avance et on comprend qu'en fait c'était une discussion au premier degré, la rendant ainsi encore plus savoureuse... comme un dialogue au troisième degré donc, stade auquel il révèle sa vraie puissance. Plus tard lorsque Clay découvre son visage après l'opération de reconstruction il passe un moment à répéter "Je ne m'attendais pas à être aussi..."
"NOIR ! Mais dis-le que t'es NOIR, on ne voit que ça !"
Pense alors le spectateur en quête de sens. Mais il ne le fera jamais, une allusion humoristique de plus sur ce paradoxe qui ne cessera de titiller l'audience jusqu'à la toute fin. Ce "détail" sur le physique des frères est une sorte d'épouvantail derrière lequel se cache le vrai propos du film : qu'est ce qui nous défini en tant que personne ?
Le scénario nous parle d'amnésie avec Clay, désormais dans la peau de Vincent, qui récupère des bribes de son ancienne vie alors qu'il s'habitue à sa nouvelle. Petit à petit il apprend à détester ce qu'il était, sans pour autant jamais le découvrir complètement, par peur de perdre ce qu'il a. Le basculement de Clay à Vincent se fait lentement mais sûrement, Clay porte désormais les habits blancs et Vincent reviendra vêtu de noir... à moins que tout ceci ne soit que la lutte intérieur de Vincent, d'ailleurs qui es-tu réellement Vincent Towers ?
Suture est une petite curiosité faite de jolis plans et de moment décalés où le réalisateur s'amuse avec la tolérance qu'a le public pour s'approprier l'histoire. Un exercice qui souffre un peu d'une baisse de régime dans le deuxième tiers mais qui mérite d'être vu... même si on risque de passer son temps à dire "bordel mais c'est quoi ce bordel, ils sont tous aveugles/cons ou bien ?".
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